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Février 2020
Rats des villes et rats des champs, clivage universel?
Auteur : John Vuillaume

Pourquoi, sous toutes les latitudes, à toutes les époques et dans toutes les civilisations, le seul clivage universel consiste en l’opposition ville-campagne? Quelle mutation est opérée chez l’être humain une fois qu’il vit en ville?

Et à l’heure où les concentrations urbaines vont bon train partout sur la planète, comment gérer des tensions villes-campagnes potentiellement explosives, avec des gilets jaunes chez nos amis français, campagnards et banlieusards, qui défilent dans les centres des grandes villes et parfois les saccagent, ou chez nous, avec des initiatives écolos plébiscitées par les urbains mais qui révulsent les populations rurales?

C’est en pleine ville qu’on écrit les plus belles pages sur la campagne
– Jules Renard

Principal constat: l’être humain n’est plus le même en ville qu’à la campagne. La ville est un concentré d’humanité. Elle favorise à la fois un anonymat libérateur et multiplie les affinités électives qui renforcent notre identité individuelle. A la campagne, nous sommes censés tous nous connaître et composer avec tout le monde, même celles et ceux que nous tenons en piètre estime. C’est le prix de la paix sociale et d’une vie collective paisible qui n’ont aucun sens en milieu urbain où chacun-e trouve sa place à sa main, en jouant des coudes mais avec une pression sociale limitée, une liberté d’action et un horizon des possibles potentiellement beaucoup plus étendu que dans nos villages campagnards et périurbains.

Notre petite Suisse s’urbanise de plus en plus, les mentalités aussi. Dans le canton de Neuchâtel, la vague verte des dernières élections fédérales s’est fait sentir dès le dépouillement des premiers bureaux de vote des villages, signal d’une prise de conscience planétaire qui touche également nos campagnes.

Canton très urbain, Neuchâtel porte le nom d’une petite ville qui a beaucoup d’une grande en matière culturelle et de formation, notamment. La Chaux-de-Fonds est quant à elle une ville sans périphérie, ce qui signifie que le clivage ville-campagne opère mal dans la cité horlogère qui s’apparente à un village qui a beaucoup grandi avec un esprit de fraternité, une pensée collective et une chaleur humaine beaucoup plus marqués que dans le Bas, sans tomber dans un cliché mis à mal ces dernières années par des bisbilles politiques clochemerlesques qui ont mis sur le flanc le canton de Neuchâtel pour des années, en faisant ressortir ce que les citoyennes et citoyens cultivent de plus vil en matière d’engagement civique, tant dans le Haut que dans le Bas.

Pour en revenir à notre clivage ville-campagne, l’opposition Haut-Bas du canton de Neuchâtel est celle de deux urbanités assez fortement différenciées.

Le Bas est marqué par la mainmise des grandes familles à particule sur la vie culturelle et mondaine d’une petite ville plus grande qu’elle n’est, certainement un effet du reflet lacustre dans lequel elle se voit à double!

Le Haut industriel et horloger est obnubilé par le regard que l’on porte sur lui, de l’extérieur, contrairement à la ville de Neuchâtel où seul compte vraiment celui de ses habitant-e-s et contribuables.

Vous introduisez la campagne dans les habitations de la ville, et vous urbanisez l’entourage, les habitudes, le labeur même du campagnard.
– Edmond About (1873)

Les villes d’une certaine importance fascinent par leurs mélanges humains, sociaux et culturels. Elles constituent un formidable rempart contre le souverainisme et le nationalisme, avec des scores électoraux souvent presque confidentiels pour l’UDC en Suisse ou le Rassemblement national en France.

Elles sont l’avenir du monde, l’incarnation du génie et de la diversité du genre humain. L’état des campagnes dépend du bon développement et du rayonnement des grandes villes dont elles sont proches. Voyez les quatre grands pôles urbains en Suisse: Berne, Bâle, Zurich et Genève.

La ville a une figure, la campagne a une âme.
– Jacques de Lacreteille

La campagne bernoise est toujours marquée par sa sujétion à la ville, mais le passage à la démocratie donne à la population rurale une voix au chapitre qu’elle n’avait pas sous l’Ancien Régime et qui se traduit principalement par un fort vote UDC que l’on ne retrouve pas du tout en ville de Berne.

Bâle influence fortement les régions frontalières qui l’entourent et les autres villes à sa proximité, de Freiburg à Strasbourg en passant par Delémont, avec une valorisation des campagnes comme complément parfait d’une urbanité friande de calme, de nature, de bons vins (alsaciens) et de beaux paysages.

Zurich est la ville la plus prospère de Suisse, les campagnes autour d’elle sont à son image, totalement façonnées par sa puissance, avec cependant des mentalités un peu moins ouvertes, les pendulaires ayant la possibilité de garder, en plus du lieu où ils dorment, des valeurs plus en phase avec l’idée qu’ils se font de la campagne.

Les territoires autour de Genève subissent l’emprise désordonnée d’une ville tiraillée en tous sens, prise entre les contraintes de son statut international et la quête de bien-être légitime de ses habitants. Lorsque les transports publics seront à la hauteur d’une cité du bout du Lac extrêmement vivante et dynamique, qu’ils irrigueront et structureront les campagnes autour d’elle, comme ils le font de manière admirable et exemplaire tant à Berne, Bâle que Zurich, les relations entre Genève et son arrière-pays s’apaiseront et se renforceront encore, harmonieusement et sereinement.

Les villes dessinent les campagnes, autant que cela soit pour le meilleur!

John Vuillaume

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