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Avril 2019
L’opportunité d’une vie en conscience
Auteur : Colette Gaudin

Je suis tous les jours frappée de constater comment le commun des mortels met de côté la mort en en parlant comme quelque chose qui ne le concerne pas avant d’y être confronté directement par la perte d’un proche ou la limite tardive des traitements face à sa propre maladie. Je suis pourtant persuadée que cette réflexion est à entamer pour chacun de nous, mortel, car la mort peut arriver à tout moment. L’unique chose qui nous différencie de la personne gravement malade c’est qu’on ne connaît pas le nom de notre épée de Damoclès et qu’elle ne nous fait pas encore souffrir, mais on sait qu’elle peut nous tomber sur la tête soudainement, par accident.

Parler de la mort ne consiste pas à annoncer la mort à venir, mais en parler de mortel à mortel car elle fait partie de la vie. Pour l’aborder il faut déjà y avoir songé préalablement pour soi: et si je mourrais demain? Qu’est-il essentiel à vivre maintenant, à dire, avec qui, où, comment? Qu’est-ce que je veux, où cela va-t-il me mener, est-ce ce dont j’ai envie? Ces questionnements influent fondamentalement sur la vie et face à la maladie et les alternatives qu’elles proposent. Ce processus entamé, l’espoir ne réside plus dans des traitements pour un mieux parfois inaccessible, mais il tient dans le sens que l’on peut donner à cette vie et à cette mort. Cette prise de conscience d’une fin change la saveur de l’instant qui devient dès lors très précieux.

La parole est désormais libérée

Cette étape de vie devient une opportunité! Permettre cet échange dans le cercle intime concentre les relations sur l’essentiel: les masques tombent et les émotions sont à vif: qu’ont-ils à vivre et à partager? S’ensuivent naturellement les interrogations existentielles autour de la mort: comment cela va-t-il se passer? De quoi ai-je peur? Qu’est-ce qui me rassurerait? Qu’est-ce qui est possible, où, comment, avec qui? Ce moment est toujours très apaisant autant pour la personne malade, pour les proches, que pour le personnel soignant. La parole est désormais libérée, sans tabou. L’atmosphère est plus légère, le partage plus intense, chaque instant est vécu pleinement. TOUT est partagé alors qu’avant chacun cheminait seul dans son coin pour préserver l’autre. Parler de la mort n’est donc pas morbide mais porteur de sens et donne de la valeur à la vie!

Sans savoir ce qu’il y a de l’autre côté, je peux témoigner de cette paix qui emplit les moments de fin de vie lorsqu’on cesse de repousser la mort à tout prix. Cette mort finira de toute façon par arriver et si on la regarde en face, l’accueillant comme faisant partie du chemin, la sérénité s’installe… Je suis aussi forcée de constater que ceux qui n’ont pas de spiritualité ont plus de mal à vivre l’instant et se laisser partir. Ils ont des fins moins paisibles. Exit, Dignitas… A travers ces demandes de suicide assisté s’expriment la peur de la déchéance, de la mauvaise image laissée mais surtout le besoin de garder la maîtrise sur ces instants sans avoir à s’abandonner à l’amour de l’entourage ou encore à cet instant présent. Ces organisations sont porteuses d’espoir comme un exutoire à une souffrance non soulagée, une sortie au cauchemar que la maladie peut imposer. Je crois pourtant intimement que ces moments de fin de vie permettent de se laisser aller à cette intimité, cet Amour… L’abbé Pierre disait: «La vie est le temps donné à chacun pour apprendre à aimer». Ces moments sont indélébiles et porteurs pour ceux qui restent…

La mort n’est pas une fin en soi

Quant à la mort néant, elle est aussi détentrice d’espoir car libératrice de cette dépendance et impuissance, de ce corps qui donne le sentiment de ne plus être à soi car ne répondant plus, de ce non-sens. Même si l’on ne croit en rien après la mort, il reste les souvenirs de la personne qui s’en va qui teinteront toujours le chemin de ceux qui restent, la possibilité de faire germer tout ce que l’on a reçu. La mort n’est donc pas une fin en soi: le rien n’existe pas, il restera toujours une trace de l’existence quelque part. De ce qui a été naît une nouvelle énergie teintée de ce passage. En parler permet donc de faire émerger la vie.

Malgré tout ce vécu dans ces moments de fin de vie, quand la mort est là, commence un nouveau chapitre. Concrètement, il reste un corps dont il va falloir s’occuper: veut-on participer à la toilette mortuaire, peut-elle se faire à la maison? A-t-on déjà choisi les habits? Le corps peut-il demeurer à domicile jusqu’à la cérémonie ou veut-on le laisser à la morgue, en chambre funéraire ou à la crypte? Veut-on participer à la fermeture du cercueil pour y déposer un texte, un dessin, un doudou ou que sais-je, faire au défunt un dernier adieu dans l’intimité?

Tout cela peut sembler n’être que des détails, pourtant ils prendront toute leur importance. S’ensuivent toutes les questions des dispositions de décès. Avoir pris le temps de se questionner auparavant permet d’adoucir cette confrontation à la mort. Cela permet aussi de faire nos propres choix qui prennent tout leur sens et non de se laisser convaincre de telle ou telle manière de faire pour entrer dans la théâtralité conventionnelle. La mort n’est désormais plus une abstraction, elle amène concrètement des changements dans la vie de famille, dans l’entourage, le voisinage, le quartier, le milieu professionnel, les croyances, la manière de vivre… notre positionnement face à elle est désormais complètement chamboulé.

Cette mort modifie le regard que l’on porte sur les rôles de chacun. Les relations dans la communauté changent. Il y a enfin ce lien particulier avec «notre» mort qui reste et doit changer. La personne décédée laisse aussi des affaires: elle la révèlent parfois d’une manière qu’on ne connaissait pas. Est-on prêt à la laisser partir? Qu’a-t-on envie de garder, pourquoi, à quoi cela nous rattache-t-il? Il est tout à fait étonnant mais tellement courant de constater toute la symbolique que prennent les choses matérielles. Il y a tout un temps d’appropriation du mort, de ce lien privilégié qu’on a partagé du temps de son vivant qui nous est propre et qui nous distancie des autres qui n’ont pas ce même vécu. Une envie de se renfermer seul avec ça. Il faut du temps pour pouvoir enfin l’exprimer une fois avant d’être prêt à le laisser partir. Les rites aident à définir ce lien qui était, ce qu’il a représenté, ce qu’il restera, pour aboutir à l’état actuel, la mort, et que sa place est ailleurs pour que les vivants puissent retourner à la vie: toute une symbolique et une traversée de désert.

Ce processus, à l’heure actuelle entouré à notre demande par de multiples professionnels, est pourtant un processus naturel. Et c’est bien là l’essence de mon message, il y a «juste» à se laisser la place pour le vivre et le dire selon ses propres besoins comme on sait si bien le faire dans la vie! N’attendez pas l’ABCdaire des professionnels car ils ne savent pas mieux que vous ce qui est bon, mais surtout nombre d’entre eux seront empruntés pour l’aborder…

Alors pourquoi ne pas tenter l’expérience d’y penser pour soi dès maintenant puis de partager cette réflexion avec ses proches? Tout ce qui en ressort est étonnant de par la vie et les liens qui se renforcent… Je ne peux que vivement vous y encourager!

Colette Gaudin
Infirmière en santé communautaire

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