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Avril 2019
Quelques mots sur EXIT

EXIT ADMD Suisse romande a vu le jour en 1982. C’est dans ces années-là que se développent les premières unités de Soins Intensifs (SI) et l’enthousiasme des médecins pour ces nouvelles pratiques de réanimation conduit parfois à des désastres: patients décérébrés ou en coma végétatif de longue durée. Les patients prennent peur: les merveilles de la médecine n’en sont pas toujours et personne ne veut mourir comme cela. On commence à parler de directives anticipées et droit des patients.

Personnellement, je n’aime pas tant le sigle ADMD, association pour le droit de mourir dans la dignité. Un jour c’est notre dernier jour et l’on meurt, c’est tout, il n’y a pas de mort digne ou indigne, cela n’a pas vraiment de sens.

Exit à ses débuts, c’est surtout cela, faire respecter les directives de ses membres. Un jour, un jeune médecin très courageux a décidé d’aider une personne qui demandait à mourir et a pratiqué le premier suicide assisté en se fondant sur l’article 115 du CPS qui ne sanctionne pas l’aide apportée à un suicide lorsqu’elle est désintéressée. J’aimerais ainsi ici rendre hommage à notre ancien président, Jerôme Sobel, sans lequel Exit ne serait pas l’association qu’elle est aujourd’hui.

Exit suisse romande c’est 29.000 membres à l’heure où j’écris ce billet, une association reconnue qui peut compter sur une trentaine de bénévoles et dont l’activité est admise dans la plupart des établissements médico-sociaux de Suisse romande.

En 2018, 467 dossiers ont été examinés par nos médecins conseils et 299 décès Exit ont eu lieu. Le différentiel entre demandes d’aide à mourir et décès par Exit illustre l’effet rassurant de savoir que l’association vous aidera lorsque plus rien ne sera supportable. Cette certitude réconforte et apaise, et souvent permet à la personne de continuer à vivre.

La personne qui sollicite une aide à mourir doit faire les démarches permettant l’examen de sa demande par nos médecins conseils: s’inscrire à Exit si elle n’est pas déjà membre, payer la cotisation, faire sa demande d’aide au suicide par écrit, parfois, si elle n’est plus en mesure d’écrire, solliciter un notaire pour obtenir un acte authentique ou une légalisation de sa requête, demander à son médecin un certificat de son état de santé. Enfin, fournir un document prouvant qu’elle a sa capacité de discernement.

Les critères d’acceptation sont les suivants: être membre, majeur – donc avoir 18 ans révolus – domicilié sur le territoire Suisse, disposer de sa capacité de discernement et être atteint soit d’une maladie incurable, soit de souffrances intolérables, soit de polypathologies invalidantes liées à l’âge.

Mon engagement à Exit? Il me semble naturel. Les patients ont des droits, ce qu’ils disent doit être entendu.

Une étude représentative a été menée en 2010 par l’équipe du Prof. Christian Schwarzenegger, de Zurich; cette étude et ses résultats interpellent: 86% des personnes interrogées souhaitent que les médecins se chargent de l’aide au suicide. Et 61% trouvent que le personnel soignant devrait aussi y prendre part. Claire discrépance, donc, entre la population et celles et ceux qui la soignent. (cf. Article de Jean Martin, parue dans Reiso le 5 octobre 2010). L’étude date de 2010 certes, mais je suis quasi certaine que ces chiffres sont toujours valables. Or la FMH vient de refuser les nouvelles directives de l’ASSM «face à la fin de vie et la mort» à cause de ses articles concernant le suicide assisté en arguant que les médecins devaient donner un signal clair à la population et ne l’admettre que lorsque la mort est proche, les souffrances intolérables étant un critère trop flou.

Quel signal? Que seule la mort naturelle est valable? Pourquoi?

Les patients devront-ils arborer un gilet jaune pour que le corps médical les entendent?

J’ai décidé d’aider Exit parce que mes confrères médecins sont peu nombreux à s’engager et que notre association a besoin de médecins dès lors qu’il faut une ordonnance pour obtenir le pentobarbital… et personnellement, je trouve que l’on a le droit de décider de sa mort lorsque votre état vous fait vivre un calvaire.

Les demandes d’aide à mourir ne sont jamais un caprice d’êtres égoïstes, fiers de leur autonomie et soucieux de ne pas perdre leur dignité comme le prétendent certains de nos détracteurs.

Je fais des accompagnements depuis 2008, et chaque fois, ce que je vois, c’est une personne qui a réfléchi, pesé sa situation, informé ses proches et ceux qui lui sont chers, et le jour prévu, elle est entourée par des amis ou sa famille entière et échange encore avec ceux qu’elle aime avant de s’endormir pour toujours.

S’ils ont choisi le moment de leur mort, c’est que tous savent que leurs jours sont comptés. Que ce soit en jours ou en mois, rien ne peut être fait pour améliorer leur état ou différer la mort qui vient. Et il y a des états qui pour certains ne sont plus compatibles avec la vie, avec leur vie. Ce ne sont pas de gens qui zappent et rompent d’avec leur vie, faute d’avoir pu s’adapter aux changements survenus, la plupart ont tenté de le faire, longtemps même parfois, mais en vain, leur calvaire reste le même.

Je me souviens de celui qui m’a dit, j’aime la vie, au fond, je n’ai pas tant envie de mourir, mais il le faut bien, de toute façon elle ne saurait tarder la mort et elle ne sera vraiment pas jolie (il allait mourir étouffé) j’aime mieux la choisir que de l’attendre.

Mort naturelle ou choisie, la mort reste la mort. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de mourir. Il y a des morts totalement inattendues qui laissent les proches désemparés, d’autres lentes, parfois trop lentes, il y a celles qui sont pénibles à vivre pour l’entourage quand la période d’inconscience médicalement provoquée ou non se prolonge, et celles dont on aimera à évoquer le souvenir. Mon expérience est que les morts par suicide assisté laissent de très beaux souvenirs d’échanges intenses et précieux.

Dr Daphné Berner
Ancien médecin cantonal de Neuchâtel

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