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Décembre 2013
Pour un revenu de base inconditionnel
Auteur : Gabriel Barta

Huit millions de pièces de cinq centimes ont été déversées d'un camion sur la place Fédérale à Berne le 4 octobre dernier. C'était notre manière, au comité d'initiative, de montrer graphiquement l'utilité pour chaque habitant de la Suisse d'un revenu de base inconditionnel: de l'argent en suffisance pour que chacun-e puisse vraiment vivre en dignité. Et c'est ce jour-là que nous avons déposé à la Chancellerie notre initiative populaire fédérale allant dans ce sens, munie de 126'000 signatures.

Cet article, sans pouvoir faire le tour du revenu de base (RdB), fournira une brève introduction et se concentrera sur deux aspects majeurs, les effets sur la société et le lien avec les droits de la personne humaine. Il terminera en montrant pourquoi il ne s'agit nullement d'une utopie mais d'une nouvelle organisation de notre société qui est à la fois nécessaire et possible.

Le revenu de base, aussi appelé «allocation universelle», est un montant mensuel que recevra de plein droit chaque résident-e de la Suisse, riche comme pauvre, travailleur comme chômeur ou comme rentier. Pourquoi les riches aussi? Parce que le RdB est un droit, le même pour tous. A la place d'aides et d'assurances diverses et variées, toutes sous conditions, nous proposons qu'un socle financier suffisant pour vivre en dignité (sans plus) soit octroyé inconditionnellement à chaque habitant-e, concrétisant réellement – pour la première fois – le droit constitutionnel à une vie digne.

Il faut concevoir le RdB non pas comme un montant donné à chacun par l'Etat, mais comme la part de la richesse commune qui appartient de plein droit à une personne de par le simple fait d'exister. Tout comme la liberté, les moyens de mener une vie digne font partie intégrante des droits de la personne humaine, ne dépendant d'aucune prestation, effort, mérite ou travail de sa part. Il s'ensuit que le RdB est payé à chaque personne individuellement, ne dépend pas de la situation familiale, et doit être d'un montant (par ex. 2500 ou 3000 francs) qui permet à lui tout seul de vivre correctement et de participer à la société.

Quelques mots sur la nécessité du RdB. La productivité ne cesse de grimper, et tant mieux. Nous produisons déjà tout ce qui est nécessaire sans avoir besoin de plus de postes; chaque jour il devient plus difficile pour un chômeur de retrouver du travail, et notre société n'aura jamais plus le plein emploi. Or l'intégration de chacun dans la société actuelle se fait par un mécanisme et un seul, le travail rémunéré, ce qui a pour conséquence que de plus en plus de gens sont marginalisés injustement et arbitrairement parce qu'il n'y a plus assez de postes pour tous. Le RdB représente un changement de paradigme où l'intégration se fait de la même manière pour tous, indépendamment du fait d'avoir ou non un travail rémunéré.

Nos systèmes actuels de revenus de substitution pour ceux qui, temporairement ou durablement, n'ont pas de salaire sont complexes, boiteux et dégradants. Les assurances sociales, les prestations complémentaires et les subsides ont tous des conditions compliquées et difficiles à appliquer; presque tout le travail des assistants sociaux se réduit à des contrôles et calculs financiers et il reste peu de temps pour le travail effectivement social. Les demandes à faire et les contrôles à subir sont intrusifs et abaissants; l'expérience à certains endroits en Suisse montre que jusqu'à 50% des ayants droit ne font pas la demande d'une prestation à laquelle ils ont pourtant droit.

Avec le RdB, nous introduisons de grands changements dans la relation des gens au travail. Ces changements sont voulus et seront très certainement bénéfiques, mais leur étendue n'est pas vraiment prévisible aujourd'hui. Il s'agit surtout de donner un vrai choix à beaucoup de personnes quant à leur emploi: quel travail, à quel taux d'occupation, pour quel salaire, étant donné que les moyens de subsistance sont déjà garantis. On s'attend à ce que pratiquement chaque personne puisse dorénavant s'occuper de façon sensée pour elle: soit un poste normal, voulu et choisi, mais peut-être à un taux réduit; soit un travail totalement différent, qui jusqu'ici n'était pas une option parce qu'il rapportait trop peu; soit des occupations non salariées qui font sens, et pour lesquels il y a maintenant le temps et l'énergie disponibles. Du coup, tous les travaux accomplis mais non rémunérés aujourd'hui, tels que les soins des enfants et les tâches ménagères ou le travail bénévole (travaux qui représentent déjà les 60% des heures effectivement travaillées, les heures salariées n'étant que les 40% restants), seront considérablement revalorisés.

Le système du RdB est une utopie dans le sens d'un nouveau monde souhaitable (sinon parfait), mais n'est pas une utopie impossible. Au contraire, de sérieuses études économiques attestent de sa praticabilité. Il faut d'abord retenir que ceux qui aujourd'hui ont un revenu élevé n'y verront pas d'augmentation nette: la différence pour eux sera que les premiers 2500 francs de ce même revenu seront inconditionnels. (Un mécanisme possible est la rétrocession de ce même montant sur le salaire.) De cette manière, sur les 200 milliards que coûtera un RdB de 2500 francs (moins pour les mineurs) pour 8 millions de personnes, à peu près 130 milliards seront couverts. Les prestations des assurances sociales, remplacées jusqu'à concurrence de son montant par le RdB, fourniront peut-être 40 milliards, ce qui laisse approximativement 30 milliards à trouver, un montant tout à fait réaliste.

Le meilleur modèle pour le RdB dans notre monde actuel est l'AVS, dont la seule condition est l'âge. Depuis sa première revendication vers 1912 et la grève générale de 1918, l'AVS a pris plus de 30 ans pour faire le chemin menant d'une utopie à une réalité. Nous espérons que le RdB n'aura pas besoin d'autant.

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