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Le 13 février prochain, le Tribunal de Turin rendra en principe, son verdict.
En principe, car la traque juridique de M. Stephan Schmidheiny reste incertaine (voir verdict en fin d’article). Ce responsable de la mort par cancer du poumon et de la plèvre d’un nombre incalculable d’employés d’Eternit et de nombreux de leurs proches dans le monde, tente par tous les moyens d’échapper à ses accusateurs.
« Plus que d’être préoccupé par les risques pour la santé des employés du Groupe [Eternit], je suis arrivé à la conclusion que ce n’était plus une affaire suffisamment avantageuse dans laquelle rester »Stephan Schmidheiny 1
Sa fortune colossale, accumulée par la commercialisation d’amiante-ciment, lui permet de corrompre les autorités des villes italiennes de Casale Monferrato, Cavagnolo, Rubiera et Bagnoli où il codirigea la fabrication de son Eternit, de soudoyer les plaignants pour qu’ils retirent leurs plaintes, d’espionner les comités de défense de ses victimes et de recommander aux journalistes d’oublier ce scandale, en Suisse notamment. Il a ordonné à sa centaine d’avocats, non pas de l’assister à la barre, mais de l’y remplacer. Car ce prévenu qui risque 20 ans d’emprisonnement – il aura 65 ans cette année – a choisi de bouder les 66 audiences du tribunal qui lui étaient consacrées. Il sait qu’en ayant méprisé autant la santé des ouvriers, la souffrance de leurs proches et les témoignages des plaignants, son apparition à Turin et même toute présence publique sans protection policière, le livrerait à la vindicte des populations.
S’il était condamné, il pourrait se prévaloir de ses nationalités d’emprunt et même suisse pour éviter d’être extradé et croupir dans une geôle italienne pendant sa retraite. Mais, prison ou pas, ce Monsieur sait bien qu’une condamnation à Turin serait suivie de nombreux autres procès, tant lui et sa famille ont empoisonné de gens dans leurs multiples fabriques d’Eternit dans le monde depuis 1920.
Il reste encore à ce champion du productivisme mortifère, autoproclamé écologiste, l’appui de la ploutocratie mondiale qu’il ne cesse de flatter en l’assurant qu’il les sauvera d’une déroute capitaliste en le rendant soft et éco, à l’instar de l’«Eco-béton» de son frère. Mais là encore il n’est pas certain que son nouveau look ne passe de mode une fois le verdict tombé.
En attendant, il fait le mort, refusant d’apparaître publiquement depuis 1990, de répondre aux journalistes et de dévoiler ses repères – Costa Rica, Hurden (SZ), Baléares… – alors qu’il sature le WEB de ses jérémiades sur les malheurs de la Planète et de ses exploits pour la sauver!
« Un de mes investissements des plus gratifiants a démarré
lors de mes vacances au Sud du Chili en 1982…
[Note de l’auteur: sous le régime militaire du dictateur
Pinochet 1973-1990]
dans un nouveau domaine d’affaires: l’exploitation des forêts » 1
[NdA: appartenant au peuple indien Mapuches!]
Si le drame de l’amiante-ciment n’est jugé qu’à présent, c’est qu’il a fallu un siècle pour prouver la culpabilité de qui en tirait profit. En 1900 le monde scientifique prouvait que l’amiante – ou asbeste – provoquait des calcifications pulmonaires, dites «asbestoses»; son effet cancérigène sur les poumons fut établi depuis 1950 et depuis 1962, le mésothéliome, ce cancer incurable de la plèvre que l’amiante est seul à pouvoir provoquer.
Les Schmidheiny connaissaient les dangers de l’amiante au moment même où les conférences et publications scientifiques en publiaient les preuves irréfutables. Pourtant, ils les nièrent, l’affaire étant florissante et les actionnaires trop comblés pour tuer leur poule aux œufs d’or. Ainsi, lorsque l’accusé prit la direction d’Eternit de 1975 à 1990, il n’hésita pas à poursuivre et accroître la production de son redoutable cancérigène, alors qu’en 1976 la Suède en interdisait l’usage!
Depuis que la relation entre amiante et mésothéliome fut prouvée en 1962, deux fois plus d’amiante qu’auparavant entrait en Suisse. Et depuis qu’il remplaça son père Max à la direction de la multinationale, il accrut encore les importations d’amiante en Suisse qui atteignit le pic historique de 22’500 tonnes par an. Elles ne cessèrent qu’en 1994, lorsque, malgré l’ordonnance suisse sur l’interdiction de l’amiante du 1er mars 1989, Eternit s’est permis d’en consommer jusqu’à 1994! Cela dit, suite à de bien curieuses «dérogations» – ou plus crûment: «violations de la législation» –, l’amiante continue à entrer en Suisse!
Il aura donc fallu près d’un siècle pour empêcher les Schmidheiny de nuire. Combien en faudra-t-il pour les milliers de cancérigènes commercialisés depuis l’archaïque amiante? Quelle instance démocratique mettra fin à la flambée de criminalité patronale avant que le nombre de leurs victimes n’emplisse les pavillons de cancéreux et que leur mort par cancer, avant l’âge de la retraite, ne défraie la chronique?
Ces marchands de cancérigènes, inoffensifs à l’achat et l’usage, provoquent une mort différée après plusieurs décennies, soit lorsque leurs meurtriers inconscients ont disparu. Ainsi épargnés, ils prolifèrent et sévissent en toute impunité. Ce sont les fabricants de cosmétiques aux nanoparticules, de déodorants aux sels d’aluminium, de prothèses mammaires au silicone, de coupe-faim toxiques, de PVC au benzène, de pesticides homicides, d’émetteurs d’ondes électromagnétiques et de rayonnement radioactif, bref tous ces produits nouveaux dont les médias suspectent quasi quotidiennement les risques à terme.
D’autres désastres à effet différé sont tramés par le potentat d’Holcim, M. Thomas Schmidheiny, frère de l’autre. Un dénombrement des personnes écrasées par l’effondrement de béton armé indiquerait qu’il a probablement plus de morts sur la conscience. Son ciment, vendu massivement dans les nombreuses régions sismiques ne tue, comme l’amiante, qu’après plusieurs décennies lors des prochains tremblements de terre. Cela lui laisse le temps de bétonner impunément la planète et de s’enrichir davantage encore grâce aux reconstructions… avec du béton armé, «parasismique» ou pas!
Les catastrophes humaines et environnementales de Minamata en 1953, Bhopal en 1984, Seveso en 1976, Toulouse en 2001, Tchernobyl en 1986… furent largement médiatisées. Par contre, celles qui font le plus de morts et de dégâts, mais qui ne se produisent qu’après un «temps de latence» entre l’exposition pathogène et l’effet clinique demeurent imperceptibles. Cela permet à leurs responsables de s’offrir ce risque en toute tranquillité et de s’éclipser, comme Stephan Schmidheiny, au bon moment. Alors, la prescription les protège, ils peuvent abandonner sans soucis leurs usines polluées, leurs décharges toxiques et leurs mains-d’œuvre contaminées et recommencer ailleurs un nouveau trafic maléfique comme l’a fait S. Schmidheiny, expatrié volontaire, en Amérique Latine et Centrale, dès 1989.
Car, qui d’autre que les 99% de l’humanité pourra imposer le «principe de précaution», exiger qu’il soit appliqué sans la moindre restriction à tout produit dont on peut craindre qu’il soit biocide, toxique, cancérigène, mutagène ou psychotrope à moyen terme? Qui peut exiger qu’une «clause du besoin» soit fondée pour toute production potentiellement dangereuse, le nucléaire notamment?
Qui pourra, sur cette planète dominée par un ramassis de milliardaires indignes, les empêcher de nuire? Qui enfin pourra évincer pacifiquement ces fauteurs de trouble de l’humanité consciente qui, en la méprisant, sont indignes d’en faire partie?
1. Stephan Schmidheiny, «Mi visión, mi trayectoria», Web, PDF, janvier 2006, p. 7
(traduction de l’espagnol, FI)
Pour en savoir plus, informez-vous, entre autres, sur le site
Comité d’aide et d’orientation - Victimes de l’amiante [www.caova.ch]