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Octobre 2011
La croissance économique mène à l'effondrement
Auteur : Pierre Lehmann

Le titre complet de cet article est:

Croissance économique, privatisation, libéralisation, mondialisation… effondrement.

Dans le Monde Diplomatique d'août 2011, on trouve un article intitulé «La dé-mondialisation et ses ennemis» par Frédéric Lordon, économiste. Il fait remarquer que la mondialisation est fondée sur des prémisses aberrantes comme par exemple «la concurrence non faussée», concept vide de sens lorsqu'on l'applique à des économies ayant des standards salariaux abyssalement différents (par exemple Europe-Asie) et qui conduit entre autres à des «délocalisations» qui laissent quantité de gens sur le carreau. Par ailleurs, l'actionnariat mondialisé exige des rentabilités financières toujours plus grandes, ce qui provoque la baisse des revenus salariaux et pénalise le travail au profit de la spéculation.

Le casino boursier est devenu le maître du monde et les «agences de notation» décident de la valeur et de la fiabilité des dettes des Etats, dettes qui ont été imposées par la finance internationale et qui sont finalement épongées par les contribuables lorsque les pouvoirs politiques volent au secours des banques dont les directeurs incompétents sont aux abois. On se souviendra du sauvetage du banquier Ospel (UBS) par le conseiller fédéral Couchepin. C'est la mondialisation qui a créé ces problèmes et, comme le dit Lordon, être favorable à la démondialisation c'est simplement déclarer qu'on ne veut plus de ça.

Les sociétés capitalistes libérales se distinguent surtout par leur arrogance soutenue par une puissante technologie, en particulier militaire, avec laquelle elles veulent dominer le monde, l'exemple type étant celui des Etats-Unis empêtrés dans une guerre sans fin en Afghanistan, dont on ne sait même pas quel est le but. Il ne faut donc pas s'étonner que ces sociétés, comme le dit Castoriadis, «présentent au reste du monde une image-repoussoir, celle de sociétés où règne un vide total de signification. La seule valeur y est l'argent, la notoriété médiatique ou le pouvoir, au sens le plus vulgaire et le plus dérisoire du terme.»

Si on veut sortir de cette course à l'absurdité et à la catastrophe, il faut, me semble-t-il, commencer par remettre en question la notion même de développement et surtout de «sous-développement». Qui développe quoi, comment, où et pour qui? En quoi est-ce qu'une tribu indienne vivant dans la forêt tropicale est sous-développée par rapport aux habitants de Genève ou, plus généralement, des pays industrialisés? Ce sont simplement des modes de vie différents et la prétention que les premiers devraient imiter les seconds pour être prospères, modernes et heureux, est stupide. C'est pourtant cela que gouvernements et économistes veulent nous faire croire, probablement avec l'arrière-pensée qu'il y a là un moyen d'étendre encore des marchés dont ils se promettent de tirer des bénéfices. Le discours du président français Sarkozy tenu en 2007 à Dakar en est une illustration. Discours paternaliste qui a été réfuté avec vigueur par des historiens et intellectuels africains. Ils ont fait ressortir que l'idée que M. Sarkozy se fait de l'Afrique ne correspond en rien à la réalité et que son but inavoué est de rendre les pays africains dépendants de la France et d'en servir les intérêts, en particulier comme fournisseurs de matières premières (voir à ce sujet: L'Afrique répond à Sarkozy, Horizons et Débats No 31, 8 août 2011). Et finalement, quel est le but du développement et comment saura-t-on s'il a été atteint ?

Pour essayer de sauver le développement, on a inventé le «développement durable», ce qui ne fait qu'ajouter à la confusion. Il s'agissait probablement d'imaginer un développement moins destructeur et donc plus facile à faire durer, mais cela ne dit rien de concret sur la nature et le but du développement et permet surtout à la croissance économique de continuer, croissance qui est la raison première des atteintes à l'environnement, à la nature, au climat et qui mène à une société à deux vitesses avec d'un côté des salaires et des fortunes indécents et de l'autre des gens qui peinent à survivre.

Indépendamment de leur côté néfaste, le développement soi-disant durable et la croissance économique sont pourtant condamnés à terme, ce que politiciens et économistes semblent ignorer. La fin du pétrole, sans lequel il n'y a pas de mondialisation qui tienne, n'est pourtant plus très loin. Au rythme de consommation actuel, il y en a encore pour une ou deux décennies. Et il n'y a pas de substitut crédible au pétrole. Il faudrait donc démarrer un plan d'urgence pour que la transition vers l'après-pétrole puisse se faire sans trop de problèmes, voire de misères et de guerres. Mais je n'ai entendu aucun politicien proposer de mettre cela à l'ordre du jour.

Il me semble qu'on ne peut échapper à la conclusion que l'humanité devra revenir à des sociétés de subsistance et donc des économies de proximité. Dans un article publié en 2002, intitulé «How can we survive» (comment pourrons-nous survivre?), Edward Goldsmith, fondateur de la revue The Ecologist, conclut: «Nous devons nous imprégner d'une vision du monde très différente, une vision qui voit la survie de l'humanité liée à un retour à des communautés traditionnelles et à la préservation de la nature dont elles font partie, plutôt que dans le monde de remplacement non soutenable qu'apporte le développement économique.»

Et Cornélius Castoriadis ne dit pas autre chose: «Nous devons être les jardiniers de cette planète. La cultiver comme elle est et pour elle-même. Et trouver notre vie, notre place relativement à cela. Voilà une énorme tâche. Et cela pourrait absorber une grande partie du loisir des gens, libérés d'un travail stupide, productif, répétitif. Or cela est très loin non seulement du système actuel mais de l'imagination dominante actuelle. L'imaginaire de notre époque c'est celui de l'expansion illimitée, c'est l'accumulation de la camelote…» (Le Monde Diplomatique, août 1998).

Le monde ne sera pas sauvé par plus d'activité économique mais par une réduction, si possible planifiée de celle-ci. Cela signifie la fin de certaines activités et donc la fin du travail pour une partie de la population. Il serait préférable de se répartir le travail restant plutôt que de pousser tout le monde à «travailler plus pour gagner plus», selon le slogan idiot du président Sarkozy. Et n'oublions pas que la fin du pétrole signifie aussi une diminution importante du nombre de machines et la remise à l'honneur du travail manuel.

 

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