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Octobre 2010
Brut de brut
Auteur : Emilie Salamin-Amar

Voilà bien longtemps que l'on nous prédit que la fin du pétrole est imminente. Nous devons, paraît-il, nous préparer au changement. Dans les médias on nous parle de long en large de toutes les énergies propres, dites de substitution. Alors, en attendant que tous ces beaux projets deviennent des concrétisations tangibles, je me suis dit qu'il fallait impérativement que, de mon côté, je me prépare également au grand chambardement. A force de le pomper ce brut, toutes les réserves d'or noir finiront bien par se tarir, à moins que les puits soient de véritables tonneaux des Danaïdes. Dans le doute, moi qui aime faire les choses dans le calme, à mon rythme, je vais prendre les devants afin d'être prête pour l'après-pétrole.

«Des Indiens kogis de Colombie, en visite en Europe, étaient choqués de devoir passer dans un tunnel. Pourquoi avait-on ainsi creusé le ventre de la Terre Mère? Pour aller plus vite, leur a-t-on répondu. Après un long moment de réflexion, ils ont encore demandé: aller plus vite où?»

—Philippe Roch
Ex-secrétaire d'État à l'environnement

Me voilà avec un emploi du temps d'enfer, mon agenda est rempli de dates de cours en tous genres jusqu'à la fin de 2012. Et encore, je ne suis pas certaine d'avoir pensé à tout dans l'immédiat. J'ai également fait la liste des livres à acheter afin de m'initier à toutes sortes de travaux manuels. Tout d'abord, j'ai fait l'acquisition d'une encyclopédie du jardinage biologique, on ne sait jamais, s'il devait y avoir une pénurie d'essence, l'acheminement des marchandises en pâtirait. Grâce à mon jardin potager, je ne risquerai pas de manquer de fruits et légumes frais. J'ai également acheté un livre paru en 1920 intitulé «Je sais faire des conserves»; ainsi je saurai faire mon beurre, mes confitures, mon pain et bien d'autres choses encore. J'ai trouvé un autre bouquin sur l'art et la manière de fabriquer des bougies faites à la cire d'abeilles. J'ai découvert également un livre sur les plantes médicinales pour soigner les petits bobos de manière tout à fait naturelle, sans effets secondaires.

En prévision de l'après-pétrole, je chine, je fais les brocantes, les marchés aussi afin de dénicher de vieux outils, telle une chignole pour remplacer ma perceuse électrique, une grande cisaille en guise de taille haie, des ustensiles de cuisine pour cuire les aliments au feu de bois dans ma cheminée. Serais-je devenue complètement parano? Aurais-je peur de manquer de quoi que ce soit? Il est vrai que le doute m'assaille. Si nos dirigeants ne prennent pas les bonnes décisions à temps, c'est-à-dire demain, nous risquerions de sombrer dans le chaos, alors j'essaie de me préparer à l'après-pétrole en attendant le solaire ou je ne sais quelle énergie de substitution qui viendra prendre le relais. Les êtres humains qui nous dirigent ne sont pas suicidaires, ils sont juste intéressés par les revenus mirobolants provenant du pétrole et de tous ses dérivés. Alors ils prennent leur temps, traînent les pieds, vont de sommets en sommets de Rio à Kyoto pour se faire photographier.

«Ce que certains citoyens de notre époque n'ont pas compris avec les éoliennes, c'est que si nos descendants trouvent ça moche et qu'ils disposent d'une meilleure solution, ils pourront les démonter et les recycler. Il n'en restera aucune trace. Alors qu'avec l'énergie nucléaire nos descendants devront assumer les déchets et les conséquences de cette industrie, que ça leur plaise ou non ».

— Isabelle Chevalley
Message aux générations futures

S'il n'y a plus de pétrole, il n'y aura plus d'essence, alors adieu ma petite voiture, je vais me mettre au vélo. Pas sur la route, car il y a encore beaucoup trop de circulation, c'est dangereux. En fait, je me suis acheté récemment un petit vélo d'appartement que j'ai installé dans mon salon, devant ma cheminée, et quand je pédale, il m'arrive parfois de m'envoler par le conduit… Je suis si distraite que je me demande si je ne vais pas devenir un danger public si d'aventure je me déplaçais en ville sur une bicyclette! Mais en attendant, je ne risque rien dans mon salon et je peux continuer à rêver tranquillement. Mon apprentissage s'avère fastidieux, car en une semaine, je n'ai effectué que deux petits kilomètres. Mais, entre temps, j'ai toujours ma voiture puisqu'il y a encore de l'essence dans les stations service.

Je me suis inscrite à des cours de couture et raccommodage, le lundi soir. Le mardi, je m'initie à la fabrication de pigments naturels qui s'utilisent dans la peinture ou la teinture des vêtements. Le mercredi, je participe à un atelier de menuiserie et comment redonner une seconde vie à mes meubles. Le jeudi est consacré aux cours de tricot, tapisserie et broderie. Le vendredi, c'est le jour de bricolage, dans ce cours très particulier j'apprends à utiliser l'huile de coude pour remplacer les robots ménagers. Le samedi c'est un stage en plein air pour apprendre à reconnaître sur le terrain les champignons et les herbes sauvages comestibles. Le dimanche, je m'initie à la guitare et au piano afin de ne pas manquer de musique si d'aventure il n'y avait plus de courant. Pour ce qui est de l'écriture, j'ai redescendu du grenier ma vieille machine à écrire, fait une réserve de papier et de crayons afin de pouvoir continuer à écrire sans ordinateur. Et si un jour le papier venait à manquer, moi qui suis une écrivaine, je deviendrais conteuse. J'irai de village en village, sur mon petit vélo, pour raconter de belles histoires aux braves gens, comme du temps de la veillée autrefois.

Et si d'aventure la transition vers une énergie verte se faisait sans trop de casse, tout en douceur, je n'aurais pas perdu mon temps, je me serais enrichie et acquis un savoir-faire artisanal tout à fait dans l'air du temps.

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