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L'expression «néolibéralisme économique» cristallise au premier abord une association de la nouveauté et de la liberté du point de vue économique. De cette liberté d'entreprendre correspond un internationalisme qu'on aime faire agiter pour vanter la mobilité des individus et des biens les plus divers, le capital notamment. Ce premier regard va jusqu'à faire rêver que nous entrons dans l'ère d'un nouvel humanisme. Passé cette vision débordante de lyrisme et de naïveté, on découvre avec stupeur que le néolibéralisme se nourrit du travail des «sans espoirs» (W. Benjamin) de tous horizons. Il incarne un fondamentalisme économique qui croit à l'autocorrection des marchés alors que les retombées ne profitent de manière disproportionnée qu'aux plus riches. Pire, aujourd'hui, la mobilité, lorsqu'il s'agit des hommes, ne concerne que très peu d'Africains alors qu'au nom de l'ultralibéralisme les capitaux migrent plus facilement.
L'Afrique, continent qui concentre les pays les plus pauvres du monde, n'est pas étrangère aux problématiques économiques actuelles. L'ampleur et la vigueur incontestables du système néolibéral y sont ostensiblement perceptibles. L'alignement forcé des pays africains sur la nouvelle segmentation idéologique économique a cependant ses réalités même si le phénomène est mondialement dominant. Une des particularités de ce système économique en Afrique c'est l'absence très prononcée de lisibilité de la liste des décideurs. Ils peuvent être transnationaux, mobiles dans l'espace et le temps, etc.
À titre d'exemple, une entreprise sud-africaine s'installe au Cameroun mais les capitaux sont américains. Elle exploite un secteur crucial de l'économie naguère national ou de souveraineté, suscite une inflation en imposant des prix de services pharaoniques aux contribuables et par dessus tout, la police veille. L'État ne garantit pas le partage des richesses mais brandit le potentiel répressif qui explique que la contestation populaire soit ainsi bien verrouillée.
Imaginez un pays au sein duquel l'État ne joue plus son rôle de régulateur des échanges économiques. Au Cameroun, même les secteurs clés comme l'eau, l'électricité ou le transport sont abandonnés aux mains des entreprises non-étatiques étrangères au mépris des investisseurs locaux dépouillés de leurs privilèges et leur liberté d'entreprendre. L'ordre économique intérieur est déconstruit au profit d'une souveraineté offshore qui impose une classe dirigeante pour la plupart de temps impopulaire et extravertie. Cette annihilation du projet économique autonome des nationaux africains génère un sentiment de frustration qui ne parvient pas pour l'instant à se traduire en de véritables révoltes.
Force est alors de constater que l'État en Afrique, après la période dite de l'indépendance, fait les frais d'un néocolonialisme abject tourné vers une économie qui ne profite pas à sa population. De temps en temps, les pays sont mis sous «perfusion» pour la survie (?). Mais qui ignore que l'aide tue l'Afrique? L'État, toutes proportions gardées, connaît une sinistrose à peine voilée. Pire, il dépérit dans une geôle à ciel ouvert.
Makhtar Diouf souligne que «L'État africain est dorénavant mis sous surveillance, après avoir été en partie déresponsabilisé comme interlocuteur traditionnel et exclusif, au profit de nouveaux acteurs»1. Il existe pourtant dans les lieux de discussions où les voix des Etats devraient être entendues. Mais l'Organisation Mondiale du Commerce, par exemple, est beaucoup plus un monologue Nord-Nord qu'une coopération Nord-Sud. Bien sûr qu'il y a aujourd'hui l'Orient, mais l'Occident établit les règles du jeu, instaure le mode du débat suivant ses critères exclusifs et le clôture à son avantage. Là encore, ce ne sont pas les plus démunis de l'Occident qui en profitent. Et d'ailleurs, comme le «prophétise» Jacques Attali: «L'Afrique de demain ne ressemblera […] pas à l'Occident d'aujourd'hui; c'est bien plutôt l'Occident de demain qui ressemblera à l'Afrique d'aujourd'hui»2.
Les solutions pour sauver les économies africaines entraînent avec elles leurs vagues de mensonges et de contradictions. Le bilan catastrophique du PAS (Plan d'Ajustement Structurel) imposé par les bureaucrates de Bretton Woods illustre bien cette imposture économique. La monnaie (Franc CFA) en cours dans la plupart des pays francophones d'Afrique est pressentie comme une monnaie d'occupation, créatrice d'une pauvreté structurelle même s'il ne faut pas se leurrer que le changement de monnaie est une révolution difficile, contraignante à de niveaux différents. Ses pièges se complexifient. Peut-être que le néolibéralisme décidera, au moment qu'il aura fixé, de la dévaluation tant murmurée dans les chaumières.
Certes, aujourd'hui, l'essor économique de l'Afrique du Sud, sa géopolitique dans le monde, etc. font d'elle une certaine fierté africaine. Cependant, le pays inquiète par son expansionnisme sous-régional dont l'«agressivité» et l'extraversion économiques commencent à embarrasser une certaine opinion. L'avenir économique africain est-il hypothéqué pour autant? Bernard Founou-Tchuigoua constate que «La mondialisation néolibérale doit être considérée comme un projet de société dont le maintien des inégalités internes et la polarisation Nord-Sud sont des composantes et non des effets pervers.»3.
Cette note pessimiste accorde une superpuissance au néolibéralisme bien qu'elle décrive la réalité vraie du moment. Devons-nous pour autant abdiquer devant une telle inhumanité qui nourrit le statu quo et exacerbe l'impuissance des plus faibles? L'ultralibéralisme se moque de l'urgence sociale. La paupérisation du monde rural via la libéralisation des chemins de fer, au Cameroun ou au Mali, le bouleversement du monde rural avec, entre autres cultures, une riziculture flouée par la restructuration néolibérale – par des entreprises chinoises notamment – nous poussent à travailler sur le sens d'une existence humaine tout simplement. Où allons-nous avec toutes ces richesses concentrées entre les mains d'une minorité alors que l'immense majorité des hommes manque de l'essentiel? Il faudra sans doute repenser l'architecture économique mondiale actuelle en dénonçant cette intrusion dysfonctionnelle via des chaînes de solidarité plus larges et plus agissantes. C'est le rôle dévolu à tout être ou communauté soucieux de sens.
À quoi sert l'ultralibéralisme en Afrique? Nous constatons une fausse bienfaisance du système ultralibéral même si nombre de gens ont accès à la téléphonie mobile ou que des buildings et duplex sortent de terre comme des champignons sans pour autant être habités par la suite. Et si c'était l'arbre qui cachait la forêt? Où en sommes-nous avec les structures hospitalières ou scolaires d'envergure? les PME locales ou les routes de qualité? les emplois suffisants pour occuper cette jeunesse désœuvrée? À moins que les retombées concrètes de notre économie actuelle n'aient pris qu'un léger retard sur ce qu'on peut appeler les faux signes de réussite!
La construction des imaginaires endogènes et autonomes s'impose. Car, un devenir qui se construit «sur la natte des autres»4 est sans issue. C'est hélas le cas en Afrique aujourd'hui. Cette conscience de son propre avenir tend à s'évanouir peu à peu face à une économie extravertie, de plus en plus séduisante et cynique. Important tout de même: cessons de penser aujourd'hui en Afrique et partout dans le monde que le néolibéralisme est intouchable et définitivement puissant. En réalité, il combat lui aussi, et cela chaque jour, sa propre impuissance. Va-t-il y arriver? Quoi qu'il en soit, un au-delà de l'ultralibéralisme n'est pas simplement possible, il semble certain.