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Juin 2009 °
Les poubelles et la fourmi
Auteur : Emilie Amar-Salamin


Dans la commune où je réside, le jeudi est le jour du ramassage des ordures ménagères. Durant toute la semaine, la petite fourmi que je suis trie ses déchets. Ecolo dans l'âme, très soucieuse de l'avenir de la planète, je m'applique et je respecte à la lettre les directives envoyées par le responsable de la déchetterie ainsi que par mon administration communale. Telle une ouvrière consciencieuse, j'œuvre toute la sainte semaine, et ce de mon plein gré, gratuitement, sans rechigner. D'un œil expert, j'évalue, j'analyse, puis d'un geste sûr, j'attribue une place définitive à tous mes détritus en fonction de leur matière respective. Afin de me simplifier la tâche, j'ai squatté une partie de mon garage pour y entreposer d'immenses cartons réservés à cet effet. Depuis que je suis devenue une fourmi verte, ma voiture dort dehors et en hiver, elle a parfois du mal à démarrer. Je dois donc faire appel à un organisme de secours afin qu'il vienne me dépanner. La planète prend alors un coup de CO2…

Mais, peu m'importe le sort de ma voiture, puisque mon objectif premier est de trier au mieux mes déchets, ma fierté hebdomadaire réside dans le fait de réaliser la plus petite poubelle de mon quartier. L'avenir de la Terre est en jeu et, en bonne citoyenne, docile et informée, pour ne pas dire formatée, programmée, je consacre chaque jour de précieuses minutes de ma vie pour aller de ma cuisine au fond du jardin pour y jeter quelques grammes d'épluchures de fruits et légumes dans mon compost. Il est vrai que le printemps venu, je suis ravie de pouvoir enrichir la terre de mon potager avec le contenu de mon petit silo de compostage, quelque peu puant, mais cent pour cent bio et fait maison.

Une authentique fourmi verte doit posséder au moins une paire de ciseau, toujours à portée de main, afin de venir à bout des emballages récalcitrants. Il est vrai que les fabricants ne nous facilitent guère la tâche. La plupart des boîtes de denrées alimentaires sont constituées de trois sortes d'emballages. Tout d'abord d'un joli carton, puis d'une feuille de papier cellophane et enfin une barquette faite en plastique moulé pour épouser les différentes formes de petits biscuits, par exemple. Telle une experte, je m'applique à désosser la bête et m'en vais déposer dans mes grands cartons du garage les différents matériaux. Je dispose en fait d'un carton pour le pet, un pour le papier, un pour le carton, un pour le plastique, un pour les piles, un pour les médicaments périmés, un pour les habits usagés, un pour le fer blanc, un pour l'alu, un pour les restes de solvants ou autres peintures, un pour le verre, un pour les diverses lampes et néons, ainsi que plusieurs grands sacs de cent dix litres pour les déchets de jardin non compostables, tels que les branchages. J'allais oublier les deux gros bidons pour collecter l'huile de friture et celle de vidange de mon auto.

Lorsque les cartons sont pleins, mon mari, l'autre fourmi verte de notre famille, doit effectuer plusieurs allers-retours en voiture pour aller jeter le tout à la déchetterie. Cet endroit est devenu un lieu de rencontre où toutes les fourmis vertes se retrouvent autour des énormes bennes et en profitent pour échanger quelques civilités sous l'œil vigilant du responsable du lieu.

Jusqu'à jeudi dernier, j'ai effectué toutes ces tâches sans rechigner, sans me poser trop de questions sur le sujet. Pour moi, l'écologie passait par le tri et, en tant que citoyenne de cette planète, je trouvais normal de contribuer au bien être de toute la collectivité. Mais c'est en ouvrant un journal tout ménage de ma région que j'ai commencé à me poser de sérieuses questions. Cette semaine, il y avait un supplément de quarante-quatre pages couleurs édité par l'Office Fédéral de l'Energie, l'OFEN, traitant de l'art et la manière d'isoler sa maison, comment économiser l'eau, l'énergie, l'électricité, le chauffage, bref un ramassis d'infos visant à inciter les propriétaires de biens immobiliers à entreprendre des travaux de rénovations. A la lecture de toutes ces pages richement colorées, je n'ai rien appris de nouveau en matière d'écologie. Par contre, je me suis longuement interrogée sur le coût de cette campagne publicitaire. Après avoir consulté l'impressum du journal, j'ai appris que ce supplément du journal avait été tiré en trois langues, à pas moins de 1'214'520 exemplaires. Je n'ai pas pu m'empêcher de faire un simple calcul qui m'a laissée pensive:

44 pages fois 1'214'520 = 53'438'880 de pages imprimées. Puis, j'ai posé sur ma balance les 44 pages en question et j'ai constaté qu'elles pesaient 150 grammes. Alors, j'ai repris ma calculette et j'ai aligné les chiffres suivants: 150 gr. fois 1'214'520 = 182'178 kg de papier imprimé.

Et la petite fourmi verte que je suis s'interroge: est-ce bien raisonnable? Etait-ce vraiment indispensable?

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