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C'était le 29 janvier dernier. Je me trouvais au CHUV, comme depuis plus de deux ans, dans un lit attendant que le Nivolumab (médicament sensé stimuler mes défenses immunitaires) s'écoule dans mes veines et veuille bien me débarrasser d'un mélanome. A mes côtés, l'infirmière et mon amie, bénévole hospitalière, qui m'accompagne commentent leurs expériences auprès des malades et des mourants. En face de nous, un patient muni de sa bouteille d'oxygène vient de s'installer dans un lit voisin.
À peine je l'aperçois réveillé, nous discutons entre cancéreux pour passer le temps. Il suffit de peu de mots pour que je saisisse qu'il est l'une des innombrables victimes professionnelles de l'amiante, mais miracle, reconnu et indemnisé par la SUVA. Le miracle c'est que, d'une part son médecin a signalé dans son rapport médical qu'il s'agissait bien d'un redoutable mésothéliome (cancer de la plèvre) avec peu de chances de guérison. Plus encore, que son assureur, la SUVA, apprenant sur quel chantier de déflocage (enlèvement d'une couche d'amiante pulvérisé) il avait été exposé l'a immédiatement reconnu et indemnisé. J'en déduis que la SUVA connaissait le bâtiment floqué où il avait été exposé (comme d'ailleurs les milliers d'autres bâtiments à risque recensés en Suisse dès 1985), mais a omis de le signaler comme dangereux comme il devait le faire, d'où le drame. De plus, cet assureur n'a rien fait pour protéger ce travailleur durant son chantier, comme elle en a l'obligation.
Nous avons le même âge, bientôt 80 ans. Il a démonté les faux plafonds d'une patinoire-piscine à La Chaux de Fonds qui masquait une couche d'amiante friable (flocage) dont il a respiré les fibres mortelles.
A peine rentré chez moi, je cherche dans la base de données de CAOVA (Comité d'aide aux victimes de l'amiante) les bâtiments floqués dans le canton de Neuchâtel, où il a été exposé. Il y en a 78. Peu importe. Tous les bâtiments à risque ayant été identifiés, la présence d'amiante devant être signalée par des mises en garde apposées dans ces bâtiments pour que des travailleurs soient avertis et n'y touchent en aucun cas. Voici encore un de ces déflocages sauvages qui en Suisse a fait tant de victimes.
Mon voisin de chambre me dit qu'il ignorait tout des risques et le voilà en sursis après avoir subi une opération de la plèvre.
Mon amie, qui assiste à notre discussion, est effarée: «Je savais ce qu'était l'amiante, mais je n'ai jamais eu à veiller ce cas, en tant que bénévole hospitalière, et ne pensais pas que depuis le temps qu'on en connaît les dangers, des travailleurs pouvaient encore en mourir, c'est terrible et révoltant!»
Terrible et révoltant: je retrouve une lettre datée du 14 novembre 1984: «Le canton de Neuchâtel, par son service de l’Intendance des bâtiments de l'Etat, nous a récemment demandé d'établir un recensement de tous les bâtiments publics isolé par flocage mou à l'amiante dans notre ville (La Chaux de Fonds)». Il y a 36 ans que l'EPFL leur a répondu positivement. Qu'en ont-t-ils fait?
La femme et le fils de la victime viennent veiller leur malade. Je leurs donne ma carte au cas où ils auraient besoin de conseils. Ils me connaissent ayant lu l'un de mes articles. Nous sommes tristes. Après tant d'année de dénonciation des risques et d'aide à des centaines de victimes de l'amiante qui ont fait appel à CAOVA, le scandale de l'amiante se poursuit dans l'indifférence générale des autorités.
Le comble c'est que l'amiante vient d'être réhabilité début 2019 en Suisse pour les tailleurs de pierre devant, «pour des raisons esthétiques», remplacer des éléments de façade en pierres pouvant contenir de l'amiante (serpentines notamment). Mais pas seulement, car ces roches sont convoitées par les cimentiers pour en faire des agrégats pour leur béton. L'Institut universitaire romand de santé au travail (IST) s'est élevé sans succès contre cette dérogation à l'interdiction de l'amiante qu'à ratifié la Confédération. «C'est inacceptable» déclarait David Vernez directeur de l'IST. Le mal est donc fait, mais le Grand Conseil du Canton de Vaud a tenté de contrer la volonté de la Confédération en votant une motion. Malgré plus de 300 morts de l'amiante enregistrés annuellement en Suisse (dont 200 par mésothéliome), elle refuse de «sortir» de l'amiante
Le comble c'est que l'amiante vient d'être réhabilité début 2019 en Suisse pour les tailleurs de pierre devant, «pour des raisons esthétiques», remplacer des éléments de façade en pierres pouvant contenir de l'amiante (serpentines notamment). Mais pas seulement, car ces roches sont convoitées par les cimentiers pour en faire des agrégats pour leur béton. L'Institut universitaire romand de santé au travail (IST) s'est élevé sans succès contre cette dérogation à l'interdiction de l'amiante qu'à ratifié la Confédération. «C'est inacceptable» déclarait David Vernez directeur de l'IST. Le mal est donc fait, mais le Grand Conseil du Canton de Vaud a tenté de contrer la volonté de la Confédération en votant une motion. Malgré plus de 300 morts de l'amiante enregistrés annuellement en Suisse (dont 200 par mésothéliome), elle refuse de «sortir» de l'amiante
Combien de tailleurs de pierre et de concasseurs de roches amiantifères se trouveront tôt ou tard prostrés dans les lits du CHUV pour y souffrir et probablement y mourir, laissant leurs familles dans le désarroi?