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Février 2024
LPP, une des affaires du siècle pour le capitalisme suisse
Auteur : José Sanchez

La doctrine des 3 piliers pour couvrir la sécurité sociale en Suisse a été définie, développée et déployée essentiellement par les compagnies d’assurance-vie (AV), comme un processus financier lié au développement historique et politique du capitalisme suisse sur 50 ans. Les principes sont simples:

– libéralisme économique total,
– responsabilité individuelle,
– absence de l’État dans le financement et le contrôle.

Comme pour d’autres assurances sociales, c’est une approche totalement subordonnée aux principes du libéralisme économique: primauté au capital privé, rôle minimaliste de l’État.

La première AVS

La vieillesse a longtemps été synonyme de pauvreté et de misère pour la majorité du prolétariat.

En Suisse, une des revendications de la grève générale de 1918 était la création d’une assurance vieillesse. En 1925, lors d’une votation populaire, ce principe est introduit dans la Constitution. L’élaboration de la loi prendra 22 ans et sera adoptée en juillet 1947. Les premières rentes AVS sont très basses, environ 15% des salaires moyens. Beaucoup de retraités dépendent encore de l’aide sociale.

Développement de la prévoyance privée durant la 1ère moitié du XXe siècle

En l’absence de l’AVS, des caisses de prévoyance autonomes vont se développer dans le secteur public et dans les grandes entreprises privées. Au moment de la votation de 1972, 35% des salariés sont couverts par une caisse de pension. Dans le secteur public, ce type de prévoyance est très répandu, avec un taux de couverture de plus de 80%. Le retard dans la création d’une assurance vieillesse généralisée et les intérêts financiers des compagnies d’assurance expliquent cet essor. Cette situation pesera lourdement lors de la votation de 1972.

Les 3 piliers

Les compagnies d’AV vont former une alliance avec les associations du patronat et des banques pour défendre un nouveau modèle, celui des 3 piliers: AVS, prévoyance professionnelle, épargne privée. Ce projet sera avalisé par le Conseil fédéral lors de la 6e révision de l’AVS en 1963. Peu de temps après, le PSS s’y ralliera aussi.

La votation de 1972

La question de l’assurance-vieillesse devient une question politique majeure à la fin des années 60. Trois initiatives populaires vont constituer le cadre politique :

– Celle du POP-PST (déposée le 2.12.1969), demandant une extension de l’AVS pour garantir une rente de 60% du dernier salaire et l’abandon des caisses privées, donc la fin du marché pour les AV.
– Celle du PSS (déposée le 18.3.1970) demandant une amélioration substantielle de l’AVS et une garantie de rente (primauté des prestations) pour la prévoyance professionnelle.
– Une initiative lancée par des milieux patronaux (13.4.1970), défendant un système de 3 piliers. Le Conseil fédéral, par son ministre de l’intérieur le socialiste Hans-Peter Tschudi, va opposer un contre-projet à l’initiative du POP-PST, la plus menaçante. Les promesses vont loin. Il s’agit d’offrir au moins 60% du dernier salaire par la composante AVS et prévoyance professionnelle. Cette dernière resterait prédominante et représenterait 40% du revenu assuré, l’AVS assurant seulement le 20%.

Cette répartition a deux conséquences. Elle signifie la fin des améliorations substantielles de l’AVS et elle justifie l’existence du 2e pilier, qui en sort renforcé et présenté comme l’élément essentiel de l’assurance vieillesse. C’est l’aboutissement de la stratégie patronale: bloquer l’AVS et renforcer la capitalisation. Le PSS soutiendra ce projet.

La votation a lieu le 3.12.1972. Juste avant le vote, les promesses sont alignées. Outre une rente de 60% du dernier salaire brut, l’indexation des rentes est promis. La loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) doit entrer en vigueur début 1975.

Avec un taux de participation de 53%, le projet du CF est plébiscité par 75% du corps électoral, la proposition du PST-POP ne récolte que 20% des voix.

Introduction de la LPP en 1986

Quatre jours après le vote historique a lieu à Zurich la 190e assemblée générale de l’association des assurances. Le contenu et les conclusions sont présentées dans le documentaire de la RTS «Das protokoll». En résumé, les assureurs ont gagné deux batailles, mais pas encore la guerre (la mise en application de la LPP). La réunion fixe surtout une nouvelle stratégie pour l’application du système des 3 piliers:

– aucune concession à la gauche, plus de compromis,
– pas de surveillance de l’État,
– une entente pour se partager le pactole et éviter une concurrence fratricide.

Un premier projet de LPP est présenté publiquement en 1975. Il sera profondément modifié sous l’influence patronale. Plus question d’assurer 60%, plus de compensation du renchérissement, généralisation de la primauté des cotisations, refus du libre passage intégral, manque de transparence. Cette LPP devient une loi-cadre minimaliste, donnant une très grande liberté aux caisses.

Adoptée le 27 juin 1982, la LPP bien que très critiquée par le PSS (dont le groupe parlementaire la vote à l’unanimité, moins 3 abstentions) ne fera pas l’objet d’un référendum et entrera en vigueur début 1985. Les capitalistes ont gagné la guerre. Car c’est une loi entièrement taillée à la mesure de leurs intérêts.

José Sanchez

Pour en savoir plus “L’affaire du siècle, le 2e pilier et les assureurs”,
Pietro Boschetti, Éditions Livreo-Alphil.

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