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Février 2024
Le loup, ange ou démon ?
Auteur : Alain Prêtre

La présence du loup en Suisse déchaîne les passions. Le clivage déjà abyssal entre les pro et les anti-loups s’est encore creusé depuis la décision du Conseil fédéral d’éliminer 70% des meutes identifiées dans le pays.

Le loup: ange ou démon ? Il convient de préciser avant toute chose que le retour de canis lupus en Suisse n’est pas le fait d’une réintroduction. Cette espèce, exterminée par le fusil et le poison il y a environ un siècle, est revenue naturellement il y a 28 ans depuis le massif des Abruzzes en Italie. Ce super prédateur n’aurait pas pu s’établir si les conditions écologiques nécessaires à sa survie n’étaient pas réunies. Il bénéficie d’un couvert forestier suffisamment dense pour se réfugier, mais surtout d’une nourriture en abondance. Le cerf, sa proie de prédilection, rassemble plus de 40.000 individus. Il y a quelques semaines encore, avant l’ouverture de la chasse aux loups, la Suisse abritait environ 300 spécimens appartenant à 31 meutes.

Le retour du loup ennoblit non seulement la biodiversité, mais il est le garant de son dynamisme et de sa pérennité. Ce prédateur est en quelque sorte le médecin de la forêt. Il élimine en priorité les cerfs faibles, âgés et malades. Le loup assure ainsi un rôle de régulation qui garantit le maintien dans un bon état sanitaire des populations de cerfs. Le lynx, autre grand prédateur, offre le même service en contrôlant les hardes de chamois.

Le grand canidé est source de fantasmes profondément enracinés dans la mémoire collective. La Bête du Gévaudan et le Petit Chaperon Rouge ont lourdement et durablement altéré le jugement de l’homme sur la véritable personnalité du loup. Les croyances, irrationnelles par définition, ont pris le pas sur la science et le raisonnement. C’est lui faire un bien mauvais procès de le présenter et de le représenter comme un mangeur d’hommes. L’homme n’est pas au menu de ce prédateur.

Les attaques avérées sur les humains sont anecdotiques. Dans la majorité des cas, elles sont le fait de loups enragés. Il convient de préciser ici que l’Europe est exempte de rage depuis 30 ans. Il arrive que le loup s‘observe à proximité des habitations. Il ne faut y voir là aucune intention prédatrice.

Les anti-loups, au premier rang desquels les éleveurs, reprochent surtout au grand prédateur son appétence pour les animaux de rente. C’est une réalité, mais les prédations sur ovins et bovins relèvent de l’exception. Elles concernent tout au plus deux pour cent du cheptel présent sur les zones habitées par canis lupus.

Les études montrent que les attaques ont lieu dans plus de 95% des cas sur du bétail ne bénéficiant d’aucune mesure de protection. Les dispositifs techniques permettant de tenir le prédateur à distance des troupeaux existent et ont fait leurs preuves. Il s’agit notamment du recours aux chiens de protection (patous, bergers d’Anatolie …) d’enclos spécifiques, mais surtout d’une présence humaine. La surveillance des troupeaux est la meilleure assurance vie contre les attaques de loups. En Suisse, l’association OPPAL(organisation pour la protection des alpages), met gratuitement à la disposition des éleveurs intéressés des bénévoles assurant la garde de leur bétail durant toute la période d’estivage. Et ça marche! Aucune attaque de loup n’était à déplorer en 2023 dans les alpages du Marchairuz (Jura vaudois) qui ont bénéficié de cette mesure. Preuve en est que la cohabitation est possible, mais encore faut-il la vouloir et s’en donner les moyens.

Il est regrettable que les éleveurs les plus radicaux appuyés par l’UDC et une grande partie du PLR refusent cette coexistence et prônent l’éradication pure et simple du loup en dépit de son statut d’espèce strictement protégée par la Convention de Berne. Le Conseil fédéral a malheureusement emboité le pas à ces extrémistes en promulguant une ordonnance visant à éliminer 70% des meutes helvétiques. Cette campagne de destruction bat son plein même si les recours de certaines ONG de protection de la nature ont permis de suspendre provisoirement l’abattage de certaines familles de loups en Valais et dans les Grisons.

Cette décision d’abattage de masse du loup ne repose sur aucun fondement scientifique. Elle est strictement politique. Censée réduire les attaques de canis lupus sur le bétail, elle ne fera que les accroître. Ce qui fait la force d’une meute, c’est son collectif, qui lui permet de prédater de grands cerfs ou de puissants sangliers. La chasse aux loups produira un éclatement et une dispersion des meutes. Or un loup solitaire est dans l’incapacité physique de tuer un animal sauvage de grande taille. Il se rabattra par conséquent sur un veau ou un mouton.

La Suisse, déjà lanterne rouge en Europe pour la sauvegarde de la biodiversité, est le premier pays à engager une lutte à mort contre le loup. Ce crime doit cesser et ne pas rester impuni. Il est grand temps que notre pays choisisse la voie de la coexistence avec le loup en s’inspirant notamment du modèle italien en pratique dans le massif des Abruzzes.

Alain Prêtre
Journaliste et photographe animalier

De très belles galeries de photos, à voir sur son site web: www.alainpretre.ch   – la Réd.

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