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Août 2023
Notre AVS a 75 ans
Auteur : Pierre Aguet

La guerre de 14-18 avait créé une misère dont on n’a pas idée. Une misère telle que les syndicats suisses arrivent, pour la première et seule fois de leur histoire, à faire une courte, mais remarquable grève générale. Époque particulièrement terrible puisqu’il faut encore affronter la grippe espagnole qui affecte deux millions de Suisses et Suissesses et en tue 24.449. Les grévistes, nous nous en souvenons tous, réclament entre autres, la création de l’AVS et obtiennent son inscription dans la Constitution fédérale en 1925. Un projet défendu par le Conseiller fédéral Edmund Schulthess est refusé en 1931. Il prévoit un versement annuel de 200 francs dès l’âge de 66 ans. S’additionnent les refus de ceux qui veulent maintenir le monopole du secteur privé et de ceux qui considèrent que l’on se moque d’eux.

Quelques chiffres. Illustrons la situation de ce pays qui n’a pourtant pas pris part à la guerre. De nombreuses usines ferment leurs portes puisque les hommes sont à la frontière. Souvent manufactures de luxe, elles ne peuvent reprendre leur activité que très lentement. Exemple: en 1921, quarante-deux usines et fabriques disparaissent dans le canton de Berne et nonante-cinq dans le canton de Vaud. La même année, un tiers des habitants de la ville de Berne est aux poursuites pour n’avoir pas payé leurs impôts. C’est L’Écho Suisse, revue des Suisses de l’étranger, qui publie ces chiffres. En janvier 1922, il y a cent mille chômeurs sur une population de quatre millions d’habitants.

Les autorités communales et nationales encouragent les Suisses à quitter le pays. Nonante mille personnes l’ont fait en quatre ans, estime l’Écho Suisse en 1923: Venezuela, Brésil, Maroc, Albanie. En 1920, mille sept cents personnes s’établissent au sud-ouest de la France. Les campagnes ne sont plus cultivées, les paysans étant morts à Verdun. Madeleine-Knecht-Zimmermann, qui a vécu ce phénomène dans son enfance, en témoigne dans «Cathala» et affirme qu’ils étaient environ trois mille dans le Lot-et-Garonne en 1926 et vingt-cinq mille immatriculés au Consulat de Bordeaux.

Pourquoi ce rappel? Que vient-il faire dans l’évocation de la naissance de l’AVS? Lors de la Deuxième Guerre mondiale, les autorités suisses comptent, depuis l’acceptation des élections à la proportionnelle, un groupe socialiste actif. Elles s’obligent, en 39-45, à prendre en compte la misère subie lors de la guerre précédente. Elles créent les caisses APG, assurance pour perte de gain. Elles sont gérées par les associations patronales. Ces dernières limitent ainsi l’intervention de l’État et des syndicats. Elles peuvent aider les familles restées sans ressources à la maison, le père étant sous les drapeaux. À la fin de la guerre, ces caisses disposent d’une fortune importante (deux milliards de francs?) et d’une petite infrastructure de prélèvement et de distribution.

Or, selon Pierre Béguin, rédacteur du Journal de Genève, qui lui rend hommage le 24 avril 1942, c’est l’étudiant en science politique et secrétaire de l’USS, Charles-Frédéric Ducommun, qui propose de relancer un projet d’AVS construit sur le modèle des APG. Après un premier refus, dès 1943, le Gouvernement prend cette idée au sérieux et c’est un Conseiller fédéral radical, Walther Stampfli, qui se fait le champion du projet en 1946 et 1947. Ce projet est suffisamment modeste pour que les caisses de pension dont il est un des lobbyistes, puissent continuer leurs bonnes affaires. Le peuple tranche le 6 juillet 1947 et, avec une participation jamais égalée, le oui l’emporte à 80%.

En 2023 les milieux financiers n’ont pas désarmé. Ils font toujours tout ce qu’ils peuvent pour freiner le développement harmonieux du premier et misent tout sur LEUR deuxième pilier. La nécessité d’une retraite sereine pour tous leur permet, en jonglant avec nos milliards, de prélever de confortables plus-values s’ils peuvent les gérer eux-mêmes. Selon Le Courrier du 26 janvier 2023, les frais de gestion des caisses de pension ont atteint 6,8 milliards de francs en 2020, chiffres fournis par le Contrôle fédéral des finances. Soit 1500 francs par an et par assuré. L’article 112 de la Constitution voté en 1925 n’est toujours pas respecté.

Ce Charles-Frédéric Ducommun avait raté son entrée comme apprenti à la Poste. Il est allé travailler aux CFF. Cela ne lui convenait pas. Il a repris des études. Après son bac, il a étudié les sciences politiques à l’EPFZ et commencé son activité professionnelle à l’USS. Il a ensuite été le chef du personnel de Nestlé, puis de Swissair. Enfin, peu après l’instauration de la formule magique au Conseil fédéral le 17 décembre 1959, on l’a prié de prendre la direction générale de la Poste. Ce fut, avec lui plus que contre lui, que j’ai été appelé pour la première fois à animer un débat contradictoire. Puisque l’occasion nous en est donnée, rendons à César ce qui est à César et à Charles-Frédéric ce qui est à Ducommun.

Pierre Aguet


L’AVS (assurance-vieillesse et survivants) est le premier pilier de la sécurité sociale en Suisse. Selon l’article 112 de la Constitution suisse, les rentes doivent couvrir les besoins vitaux de manière appropriée. Ce n’est malheureusement pas le cas et de plus en plus de personnes âgées doivent recourir aux prestations complémentaires pour pouvoir vivre décemment. L’AVS est mieux gérée que le deuxième pilier (LPP) qui, lui, est tributaire des fluctuations de la bourse.

(RCy)

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