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Faut-il se réjouir du jugement en appel de l’affaire UBS en France? La question est d’autant plus complexe qu’elle est aussi morale que judiciaire. En attendant, le résultat de cet appel est la réduction à 1,8 milliard en lieu et place de 4,5 milliards, soit 2,5 fois moins, ou si vous préférez, un gros rabais de 60% sur l’amende initialement inf ligée à la grande banque suisse en 2019. Conséquence N°1: les dirigeants de l’UBS, légèrement grincheux, songent à introduire un deuxième appel. Ça laisse songeur. Conséquence N°2: les actionnaires sont contents, l’action UBS remonte, et ça aussi, ça laisse songeur.
Mais regardons d’un peu plus près cette affaire. La justice française, sur la base d’informations livrées par une employée française de la filiale française de la banque, l’avait condamnée en première instance à cette amende salée. Grosso modo pour avoir «fortement incité» ses clients français à planquer leurs montagnes d’€ à l’abri du fisc. Certes, c’est un peu le «job» des banquiers helvétiques, ces seigneurs de la finance qui assurent à notre pays une merveilleuse réputation, condamnés qu’ils sont à une éternelle fuite en avant pour parvenir à l’obésité d’une banque too big to fail et, du coup, être sauvée par notre propre gouvernement. Hélas, ça s’est vu. Et ça nous avait laissés songeurs sinon un peu choqués. Je dis hélas, non pas pour les milliers d’emplois ainsi épargnés bien sûr, mais hélas pour la morale et surtout pour la justice.
En fin de compte, il suffit d’être suffisamment puissant pour s’offrir les services (hors de portée du citoyen lambda) d’une petite armée d’avocats pour gagner, en une seule audience, 2,7 milliards d’€. Ça fait cher la minute de procès et là encore, ça laisse songeur.
Que dire de l’employée qui a dénoncé les agissements clairement illégaux de la banque? Je ne connais pas cette personne et sans être un admirateur du système judiciaire américain – où la justice n’est qu’un industrieux galimatias qui rapporte, ou coûte, gros, c’est selon – mais outre Atlantique, Madame Stéphanie Guibaud aurait reçu une sonnante et trébuchante récompense pour son geste civique. Espérait-elle un tel traitement de la part de la République Française? Je l’ignore mais, conséquence N°3: dame Guibaud vit très mal depuis 2012, sa réputation est ruinée, sa situation socioprofessionnelle réduite à néant, et elle est injustement condamnée aux «aides» sociales. Ça laisse songeur. Cette dame avait agi, dit-elle, pour ne pas être complice de crimes financiers. «Notre» banque s’est arrangée pour broyer la vie, la carrière et tout le reste (famille, amis, santé, patrimoine) de son ex-employée. De son côté, la République ne considère Madame Guibaud que comme simple témoin et non pas comme une lanceuse d’alerte, même si, grâce à elle, l’État va encaisser un bon gros tas d’€. Ça laisse songeur. Ainsi, non solum sed etiam, comme dirait Cicéron, la Oops… l’UBS banque gagne 2,7 milliards en une journée, mais dame Guibaud végète depuis dix ans dans l’indignité. Ça laisse songeur.
Faut-il réintroduire de la morale dans la justice? C’est une grave question, d’ordre philosophique. De fait, la morale ne doit pas se substituer à la justice ni même s’en mêler et il serait dangereux d’introduire de la morale dans la cuisine judiciaire. Les tribunaux sont déjà assez spectaculaires tels quels. On voit à quelles dérives ça conduit quand on dénie aux femmes le droit à l’avortement au nom d’une hypocrite considération soi-disant morale. Ce n’est, en effet, pas de morale dont ont besoin nos systèmes judiciaires, mais tout simplement d’éthique et de «justice». De véritable justice et non pas de cette espèce de théâtre ubuesque où, en réalité, s’affrontent des intérêts cachés et inavouables aux citoyens contribuables. Ça laisse songeur.
Ceci dit, la vérité m’oblige à mentionner que l’UBS va peut-être regretter son attitude arrogante et contestataire. Il y a cinq ans, l’État français avait proposé à la banque le paiement d’une «amende contributive» de 1,1 milliard d’€, pour lui épargner toute suite judiciaire. Sûre de son bon droit d’arnaque, l’UBS avait, tout en clamant son innocence et son intégrité, persisté à vouloir régler le problème devant les tribunaux. Résultat final, une condamnation renouvelée et un surcoût de 700 mios. Pas très reluisant tout ça. Vous me direz que 700 mios, c’est une broutille pour l’UBS. Ça ne fait même pas le poids face aux bonis versés aux meilleurs de leurs pieds nickelés. Ça laisse songeur. Mais, confieriez-vous vos sous à une banque qui finit par perdre 700 mios par simple arrogance? Ça vous laisserait songeur, non?
On peut préférer l’argent à la justice, d’ailleurs «on» ne se gêne pas, «on» le fait! Mais qu’on ne vienne pas ensuite affirmer que jouer au soft ball (sans aucun dommage) dans le hall d’une banque pour attirer l’attention sur ses investissements ringards et dangereux (mais toujours juteux), constitue une violation de la propriété. La justice doit choisir son camp. Le droit du plus fort ou la justice équitable. Soit, elle continue de danser au bal des hypocrites, soit elle rend la justice. Mais, elle hésite la justice, elle ne sait pas trop, et ça la laisse bien songeuse…