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Juin 2020
La vieillesse: données démographiques et ethnologiques
Auteur : Margaret Zinder

La place et l’existence des gens âgés dans leur société sont conditionnées par tous les paramètre de cette société en tant que système. La vieillesse organique est inhérente au processus de la vie de tout individu. On en peut décrire les manifestations physiologiques au niveau des tissus, des organes, des fonctions. L’individu change d’apparence et celle-ci correspond plus ou moins à un âge. Ceci concerne l’approche biologique. La vieillesse ne se réduit pas aux processus physico-chimiques du corps physique.

Il y a une expérience qui n'appartient qu'à ceux qui sont vieux: c'est celle de la vieillesse même.
– Simone de Beauvoir, 1970

La démographie, l’ethnologie, l’histoire, la sociologie, la psychologie, la politique montrent que les vieilles gens sont vus, se vivent, sont traités différemment selon les régions du monde, les sociétés, les époques, les classes sociales et selon leur implication dans la société.

L’espérance de vie, c’est-à-dire, le nombre moyen d’années qu’un groupe d’individus peut s’attendre à vivre, est, en 2015, de 83 ans en Suisse, de 53 ans au Nigeria. L’espérance de vie dépend de la mortalité infantile, de l’hygiène, des progrès économiques et sociaux, de l’accès à l’instruction, de la prévention des maladies/épidémies, des traitements médicaux. Bien qu’ils tendent à diminuer, les écarts de mortalité entre hommes et femmes sont expliqués par la moindre fragilité biologique de celles-ci et par le fait qu’elles adoptent moins des comportements nocifs ou à risques (Pison, 2019).

En 2015, sur 100 personnes qui meurent dans le monde, 56 ont 65 ans ou plus, ce qui prouve que l’avance en âge rapproche immanquablement de la mort. Pourtant le seuil d’entrée dans la vieillesse fixé par les sociétés s’avère en grande partie arbitraire (certains sexagénaires se sont offusqués d’être désignés comme candidats naturels au confinement prolongé pour cause de Covid-19!).

La transition démographique qui a commencé vers 1850 dans les régions d’Europe et d’Amérique du Nord est caractérisée par le passage d’un équilibre (forte mortalité infantile associée à une faible durée de vie) vers un nouvel équilibre théorique prévu par les démographes (baisse de natalité associée à une stabilisation du nombre de décès) en passant par une croissance démographique (baisse de natalité associée à une baisse de mortalité). Or cette baisse de mortalité liée à l’allongement de la vie dans les pays occidentaux de la zone Nord (phénomène qui sera suivi au Sud) aboutit à un vieillissement démographique.

Mais ce vieillissement dont on parle péjorativement paraît fortement lié à la génération nombreuse des âgés actuels nés dans les années d’après-guerre. Et puis que prédisent les démographes de l’impact de la pandémie du Covid-19 qui a semble-t-il touché beaucoup de personnes âgées résidentes des établissements médico-sociaux?

La vieillesse est un âge heureux, quand on a mené une vie dure et plus ou moins dévorée par les autres.
– Simone de Beauvoir

Aucun vivant n’échappe à la vieillesse et les données biologiques comptent, mais toujours pondérées par les facteurs culturels et sociaux. Car l’importance de la force physique, de la santé, de l’expérience, de la mémoire, des connaissances, de la richesse, du pouvoir dépend du niveau de développement et de l’organisation de la communauté dans laquelle vit l’âgé.

Par exemple, Simone de Beauvoir, dans son important essai (1970), met en exergue des sociétés plus ou moins développées (technique, magie, religion constituant l’essentiel de la culture) où le vieillard (qui ne l’oublions pas est vieux entre 30 et 40 ans) peut être respecté et craint en tant qu’intercesseur entre les membres du groupe et les ancêtres ou l’au-delà (le monde surnaturel), en tant que possédant des pouvoirs magiques et comme dépositaire du savoir et de la tradition. Mais si le groupe est nomade, si la nourriture manque, les vieux deviennent une charge à transporter et une bouche supplémentaire à nourrir. Le groupe trouve des moyens justifiés ou non, ritualisés ou non, pour les négliger, les marginaliser, les abandonner, leur enjoindre de se laisser mourir. Il y a aussi des peuplades où la déchéance physique n’entraîne pas la déchéance sociale. Il faut en général un contrepoids: le vieux père possède les troupeaux, détention qui lui octroie du prestige. Pourtant il a été observé que dans des peuplades aux techniques rudimentaires, l’amour réciproque entre enfants, petits-enfants et parents pouvait suffire à accorder aux plus âgés un sort heureux.


Le statut du vieillard n'est jamais conquis par lui mais lui est octroyé… par l'ensemble de la communauté. – Simone de Beauvoir, 1970

Les qualités et pouvoirs reconnus aux âgés dans ces sociétés sont tour à tour la mémoire des traditions qui assurent la continuité de la communauté, les conseils avisés, les pouvoirs magiques et secrets (incantations, guérisons, oracles, mauvais sorts), la proximité avec les ancêtres, les hautes fonctions religieuses, les propriétés, une vie passée prospère, le monopole d’un métier, l’expérience, l’autorité du chef et le pouvoir patriarcal, une bonne santé qui permette de garder la maîtrise de son corps et de mener encore une existence active (effectuer des tâches utiles à la communauté). Paradoxalement, pour les femmes, la vieillesse peut se présenter comme un avantage: tous les interdits qui pesaient sur elles à cause de la souillure mensuelle sont levés, bien que leur statut reste inférieur à celui des hommes.

À partir du moment où une société se territorialise, elle doit se donner des règles organisationnelles de distribution et de succession des propriétés. L’ancêtre de la communauté sert de pilier, de référence: le vieillard est officiellement reconnu.

Au-delà des différences de traitement de l’individus âgé selon l’organisation sociale, il est l’Autre dit Simone de Beauvoir, donc perçu avec ambivalence, surhomme ou sous-homme, impotent, inutile ou intercesseur et magicien; il inspire crainte ou respect, envie ou dégoût.

Margaret Zinder
Chercheure en sciences humaines et sociales

Bibliographie:
Beauvoir de, S. La Vieillesse. Paris: NRF Gallimard, 1970.
Pison, G. Atlas de la population mondiale. Ed. Autrement, 2019.

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