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Février 2019
Ce serait cela l’«utopie»?
Auteur : Georges Tafelmacher

Après deux décennies de progrès, la «4e révolution industrielle» est en marche avec les technologies de pointe, meilleures, moins chères, plus rapides, plus évolutives et plus faciles d'accès que jamais. Elles convergent sur les plateformes numériques et induisent des changements brusques dans de nombreux secteurs. La portée est d'une ampleur inimaginable.

Il ne se passe pas un jour sans que nous soyons assommés par cette propagande insidieuse et formatrice qui nous pousse exclusivement vers la société numérique dont l’intelligence artificielle (IA) serait la clé de voûte. Chaque jour, dans un foisonnement et une débauche d’énergie spectaculaire, on nous vante la numérisation sous toutes ses coutures, vantant même que cet apport, ou débauche, de moyens technologiques numériques résoudra nos problèmes humains et nous guérira de notre nature humaine décidément trop émotionnelle. Des voitures dites «autonomes» freineront pour nous, se parqueront sans notre intervention et même, nous diront où aller, comment et dans quel esprit. Même nos animaux de compagnie seront dotés de capteurs et de caméras «go-pro» qui nous diront s’ils ont faim, s’ils veulent dormir et même où ils sont dans leurs balades!

Un virage historique vient d'être pris, il aura des conséquences encore difficilement imaginables…
– le «digital shaper»

Quotidiennement, on tente de nous persuader que le numérique transformera l'homme pour en faire un être nouveau, qu'il nous augmentera, qu'il nous dotera d'une nouvelle puissance, d'une vie virtuelle intellectuellement surpassée, et qu'avec l'intelligence artificielle, ce serait la révolution des pratiques et du corps social. Cette révolution touchera aussi la production de biens et de services par l’introduction massive de machines basées sur l’intelligence artificielle, reliées à un réseau censé rendre la production totalement automatisée et interconnectée. Il deviendra même possible pour les machines de se perfectionner de manière complètement autonome (le «machine learning») bouleversant ainsi l’interaction que l’être humain peut avoir avec les instruments de son propre travail et de fait, l’excluant. Cette modernité technologique est très attrayante et axée sur le moindre effort, la facilité de maniement et le besoin d’être «dans le vent».

La connaissance sans la sagesse est de l'intelligence artificielle…
– Juliana M. Pavelka

L’accélération du développement de la technologie produit des changements qui influencent notre quotidien jusque dans nos concepts même de la réalité. En effet, la connectivité est devenue une condition indispensable à nos existences au profit des multinationales et les colosses financiers qui administrent la planète. Cela s’appelle «l’industrie 4.0» et elle ne fait rien d’autre que renforcer et approfondir les dynamiques d’aliénation, d’exploitation et de destruction des écosystèmes qu’elle proposait de «sauver». Paradoxalement, l’utilisation de ces moyens mène vers une individualisation exacerbée, une dé-sociabilisation, un manque de concentration, une plus grande dépendance et elle sera un frein à la socialisation harmonieuse alors que certains préconisent l’imposition du virage numérique à tous les niveaux afin que nous soyons éduqués au maniement des engins électroniques afin de pouvoir, en théorie, les maîtriser.

Le développement exponentiel des technologies de pointe rend la transition qu'elles ont déclenchée plus rapide que par le passé. S'il a fallu des décennies pour que les organisations sociales s'ajustent aux changements économiques liés à la technologie, aujourd'hui l'adaptation doit se faire très vite pour qu'un nouveau contrat social émerge à temps. Des réseaux de protection sociale modernes sont d'autant plus indispensables mais ils restent absents ou fragiles. Conséquences pour les gens communs et ordinaires: ils seront finalement largués du processus même de la vie, aliénés de leur vécu propre et de leur propre identité et soumis au pouvoir de ceux qui se croient maîtres de la vie, de notre société et de nous tous.

Car ce qui intéresse vraiment les promoteurs de la numérisation c’est la possibilité, d’un côté, d’augmenter les parts du monopole industriel et à se repartir les bénéfices mais surtout, d’autre part, de s’assurer le contrôle et domination sur nos vies où notre seul choix serait de s’y conformer en s’y adaptant en ravalant sa dignité, son humanisme, sa révolte et son opposition. En fait, il s’agit d’une soumission totale à l’IA, au software installé qui constitue le moyen réalisable de soumettre, nous et la société, à une déshumanisation entraînée par la technologie. La réalité est que des nobles métiers disparaîtront ainsi que le génie humain de chacun car le contact appétissant qui nous lie au goût, à l'expectative, aux artisans et leur coup de main qu'aucun robot ne pourrait reproduire aussi «génial» soit-il, disparaîtra. Or, ce qui compte est justement ce côté «métier» des artisans, soit la relation entre la main et le cerveau et non cet avatar sorti de l'imagination délirante de ces manipulateurs de robots.

Que chacun cherche en lui-même ses possibilités de bien faire, que chacun se façonne comme il l'entend et qu'on laisse la société avancer comme elle le peut grâce aux efforts de chacun dans un élan de bonne volonté et de solidarité, en prenant en compte ce que nous sommes réellement et en agissant dans le respect de son prochain sans le pousser dans les affres de la déconnexion mentale et psychique. Alors que la réalité virtuelle nous promettrait la connexion universelle et une vie augmentée comme si la vie telle que nous la connaissons serait à proscrire, à rejeter ou à changer impérativement!

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