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Février 2019
Surveillance des assurés et des fraudeurs du fisc: deux poids deux mesures?
Auteur : Samuel Bendahan

Le peuple a accepté l’année passée de donner davantage de pouvoir aux assureurs pour surveiller la population qu’elle suspecte de fraude. Alors que la droite estimait que tout moyen était bon pour traquer les personnes qui abusent du système, la gauche a dénoncé une invasion dans la vie privée des habitantes et des habitants de notre pays.

Bien sûr, personne ne défend la fraude comme quelque chose de bien et tout le monde souhaiterait la réduire ou la supprimer. Il y a toutefois un problème dans le raisonnement des personnes qui sont prêtes à engager des détectives privés pour surveiller les bénéficiaires des assurances sociales: elles ne sont pas prêtes à demander le même sacrifice aux riches. C’est pourtant paradoxal. La fraude aux assurances sociales n’est pas une bonne chose, mais ce n’est pas non plus en Suisse un phénomène massif. Bien sûr, quelques cas défrayent la chronique, mais dans l’ensemble les montants perdus par cas sont souvent modestes. En tous cas, ils sont sans commune mesure avec les montants de la fraude et de l’évasion fiscales, qui eux s’estiment en milliards de francs.

Les personnes qui veulent laisser des drones observer les assurées et les assurés ne veulent en tous cas pas que les mêmes moyens soient utilisés pour surveiller les potentiels fraudeurs du fisc. Pour quelle raison? Parce que ces derniers ont de l’argent, en tous cas les plus gros poissons qui confisquent le plus de moyens à l’Etat. Cela montre que pour beaucoup de politiciens, il y a deux classes de personnes. Il y a les riches qui vivent dans de grandes propriétés, et ces personnes-là ont droit à une vie privée, et il y a les autres, la population, les assurées et les assurés, qui ne disposent pas de moyens massifs. Pour ces dernières et ces derniers, pas d’égards à prendre, ce n’est pas grave si on les surveille.

Si on continue avec la concurrence fiscale, dans dix ou vingt ans, il n'y aura plus d'impôt sur les sociétés.
– Thomas Piketty

Le groupe socialiste aux Chambres fédérales a déposé un texte qui demande que les mêmes moyens puissent être utilisés pour traquer les fraudeurs du fisc et les gens que l’on soupçonne de fraude à l’assurance sociale, en plus des moyens conventionnels. Il y a fort à parier que les personnes qui n’avaient aucun scrupule à permettre aux assureurs de lâcher les détectives privés sur le commun des mortels, monteront aux barricades pour défendre la vie privée des riches. C’est là qu’est le scandale: l’argent ne vous offre pas seulement le pouvoir, mais le statut qu’il vous confère vous donne le droit au respect de votre vie privée dans une plus grande mesure.

Il faut rappeler que la fraude fiscale, ainsi que la soustraction et l’évasion, ne sont pas des problèmes anodins. Le rapport d’Oxfam annuel vient d’établir que 26 personnes détiennent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la planète! Chaque année, le fossé se creuse davantage entre ces quelques super-riches et les plus pauvres, et en même temps, on supprime l’imposition de la fortune et l’on rend encore plus facile la concentration massive des richesses. Si les plus riches payaient correctement leurs impôts, les Etats n’auraient pas de difficultés à financer le service public.

Oxfam estime la fraude au fisc à 7600 milliards de francs. Assez pour s’attaquer sérieusement aux grands défis de l’humanité. Les mêmes personnes qui sont prêtes à s’acharner sur les plus démunies et les plus démunis pour éviter qu’ils ne volent un centime sont celles qui défendent le fait que quelques personnes puissent avoir plus de pouvoir que l’essentiel de l’humanité. Cette problématique, la mauvaise répartition des richesses et du pouvoir, n’est pas seulement une injustice. C’est une menace pour la survie de l’humanité. Il est donc nécessaire que les populations s’engagent davantage pour une société plus juste, où chacune et chacun trouve sa place et dispose des mêmes droits et devoirs.

Samuel Bendahan
conseiller national et économiste, Lausanne

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