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Décembre 2018
Que pouvons-nous faire pour la paix ?
Auteur : Max-Henri Béguin
Cet article est paru dans l’essor en 1953
Le Dr. Max-Henri Béguin
Dr. Max-Henri Béguin

La guerre est le danger le plus grand qui menace notre monde. Les armes modernes pourraient anéantir en quelques secondes des pays entiers et détruire des vies humaines par millions. Devons-nous, chrétiens, rester passifs, pensant que la guerre est une fatalité historique inéluctable? Devons-nous mettre notre espoir dans le surarmement, comme on nous le propose? Jésus nous dit:«Heureux ceux qui procurent la Paix». La paix dont il parle n’est pas la paix armée, faite de peur, de haine et du désir d’écraser l’adversaire. La paix que Jésus proclame, c’est l’entente entre les peuples, basée sur l’amitié, sur la tolérance et sur la bonne volonté.

Essayons de nous figurer ce qui arriverait si, dans tous les pays, les chrétiens refusaient toute collaboration avec les armées: la guerre ne serait plus possible. L’état de paix ou de guerre est la résultante de chacune de nos forces individuelles. Si elles s’orientent toutes du côté du réarmement, la guerre devient inévitable. Si, au contraire, nous mettons toutes nos forces au service de la paix, celle-ci pourra être sauvegardée. Devenons conscients que nous sommes solidaires devant le destin du monde. Voulons-nous être complices de la guerre? Non! Sentons-nous responsables de la paix.

Aimez vos ennemis…, ce message est clair

«Tu ne tueras point» dit la loi de Moïse, qui lui a été dictée par l’Eternel. Malgré les affirmations de certains théologiens, cette loi, je crois, nous interdit de tuer aussi à la guerre. Dieu a créé la vie de chaque homme, comme aussi celle de ceux que nous considérons comme nos ennemis. Jésus nous dit: «Vous avez appris qu’il a été dit: Œil pour œil, et dent pour dent. Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Vous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Mais moi je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous maltraitent et vous persécutent.» Ce message est clair. Ecoutons-le, prenons-le au sérieux et agissons en conséquence.

Jésus nous dit encore, à nous chrétiens qui voulons être ses disciples: «Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés».Quel spectacle que notre désobéissance, de voir comment les chrétiens, soldats de différents pays, s'entretuent, au lieu de s'aimer comme Jésus nous l'enseigne.

La vie humaine, œuvre divine, est sacrée. La vie de l'homme est certainement l'œuvre d'une volonté supérieure qui nous aime. C'est à cette conclusion que m'ont amené mes études de médecine. Quand on examine de près la structure merveilleuse de chacun de nos organes, celle du cerveau, du cœur, ou de l'œil par exemple, quand on sait comment chaque organe fonctionne et comme ils collaborent, on comprend qu'il y a, à la source de la vie humaine, une intelligence divine. Pour la moindre machine, il a fallu la volonté de la construire, le plan du technicien, et le travail de l'ouvrier. Le corps humain, combien plus fin et plus compliqué que toutes les créations humaines, ne peut avoir été créé que par une intelligence et une volonté invisibles.

La vie humaine est sacrée, elle est une œuvre divine

Nous n'avons en aucun cas le droit de la détruire. En tant que médecin, je sais aussi que la vie de chaque enfant, de chaque maman, de chaque membre de la famille, est précieuse et tous les efforts qui se font pour la sauver, quand la maladie la menace. C'est un devoir encore plus grand, me semble-t-il, de lutter contre la guerre, qui déchire les familles, qui blesse et qui tue les êtres humains.

La fraternité de tous les hommes est une réalité. Tous ceux qui ont voyagé et vécu en pays étranger ont certainement fait la même expérience: les hommes y sont bien, par leur langage, leur éducation, leurs coutumes religieuses, différents de nous. Mais quand on les connaît un peu, on s’aperçoit que ces différences sont beaucoup moins grandes que tout ce qui nous est commun. De même, en lisant les œuvres des poètes et écrivains d'autres pays, en admirant les tableaux de peintres étrangers, nous sentons que la parenté qui unit les êtres humains par-delà les frontières est une réalité. Cette expérience vécue confirme la vérité de notre croyance: Dieu est le Père de tous les hommes, et en Lui nous sommes tous frères.

Ainsi, Dieu nous dit de ne pas tuer, Jésus nous enseigne à aimer nos ennemis et à ne pas leur résister par la violence. D'autre part, la vie humaine est une œuvre divine et les hommes, même des pays ennemis, sont nos frères. Cela donne à réfléchir. Avons-nous vraiment le droit de tuer les hommes à la guerre? Est-ce juste, en temps de paix, que nous nous préparions, par notre vie militaire, à les tuer? Quels sont, en effet, les moyens d'action des armées, de la nôtre aussi? Les fusils, les mitrailleuses, les lance-flamme, les canons, les tanks, les avions, à quoi visent-ils, sinon à déchiqueter le corps humain, pour y enlever la flamme de vie qu'il contient?

Est-ce là une œuvre à laquelle nous, chrétiens, qui voulons être humblement soumis à la volonté divine, nous pouvons participer? Si, dans nos prières, nous demandons avec une réelle conviction: «Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel», nous comprendrons que le règne divin sur cette terre ne peut se réaliser que si nous, les hommes, nous devenons des serviteurs obéissants, orientés vers Dieu et dirigés par Lui. Écoutons, dans le silence et dans la prière, l'appel divin et soyons prêts à y répondre avec intrépidité s'il se dessine clairement en nous.

Nous avons des valeurs à sauvegarder, qui ne peuvent l’être par la force armée

Nous avons, en Suisse, des valeurs divines qu'il nous faut sauvegarder, et de nombreux chrétiens, en toute sincérité, voient un devoir à être soldats pour les protéger. La liberté, le respect de l'homme, la solidarité entre compatriotes de langues et de religions différentes, la volonté de secourir les détresses hors de nos frontières sont certainement des biens très précieux, qui sont d'essence chrétienne.

Sommes-nous bien sûrs, par notre armée, de pouvoir les protéger et n'existe-t-il pas d'autres moyens plus efficaces? Au sujet de la valeur défensive de notre armée vis-à-vis des bombardiers et des explosions atomiques, les militaires eux-mêmes sont sceptiques et l'on entend dans leur bouche l'expression: mourir en beauté. Ces biens, fruits de la civilisation chrétienne, c'est à Dieu que nous les devons, et à nos ancêtres, qui ont été inspirés par Lui. N'est-ce pas la marque de notre manque de foi, de croire que nous pouvons les défendre en recourant à des moyens manifestement mauvais qu'Il condamne?

Mettons notre confiance en Dieu qui est beaucoup plus puissant que toutes les armées du monde. Si nous devenons des témoins toujours plus fidèles et intrépides de son amour, et de sa justice, nous aiderons, je crois mieux encore, à sauvegarder les bases chrétiennes de notre civilisation.

Nous pensons volontiers que notre armée est purement défensive et que nous sommes tout à fait innocents des crimes de la guerre commis hors de nos frontières. Est-ce vraiment le cas? Pendant les dernières guerres mondiales, notre industrie n'était-elle pas occupée à fabriquer des armes qui allaient semer la mort dans d'autres pays? Et nous vivions pour une part, de l'argent gagné à ce commerce. Savez-vous que les armes usagées et jugées trop peu modernes, achetées il y a une dizaine d'années avec les impôts des citoyens suisses, sont revendues par le Département militaire aux pays désireux de les racheter? Et on apprend ensuite que du matériel militaire suisse a été utilisé sur certains champs de bataille, en Asie par exemple.

À la fin de la dernière guerre, l'exportation de matériel militaire avait été interdite, mais cette interdiction a été levée. Pour justifier la reprise des exportations, on a dit qu'il fallait que notre pays ait une industrie de guerre prospère, afin de mieux pouvoir assurer les besoins de notre armée. Le comité de l'Union suisse des pasteurs de l'Eglise réformée a adressé dernièrement au Conseil fédéral une requête disant «son inquiétude devant l'ampleur qu'a prise l'exportation de matériel de guerre et demandant de la restreindre énergiquement, comme il convient à la juste neutralité politique et la mission pacifique de la Suisse». Si nous voulons la paix, refusons de fabriquer et de vendre des armes et du matériel militaire qui, un jour ou l'autre, risquent d'être utilisés à tuer notre prochain.

Envisageons notre défense sous un angle nouveau

Il y a une façon de participer à la guerre sans la faire soi-même, c'est d'être animé de sentiments de haine vis-à-vis de certains pays et d'en souhaiter l'écrasement. Si nous voulons la paix, développons en nous-mêmes des sentiments bienveillants vis-à-vis de tous les peuples. Sachons comprendre leurs problèmes tout en restant clairvoyants, et n'acceptons pas l'optique simpliste qui voit tout le mal d'un côté et tout le bien de l'autre.

En vue de tenir la guerre loin de nos frontières, nos militaires espèrent que la crainte inspirée par notre armée sera assez grande pour enlever à l'adversaire l'envie de nous envahir. Au lieu de notre défense basée sur la peur, nous pourrions, je crois, avec autant de réalisme, nous efforcer de mériter l'affection, l'estime et la reconnaissance des autres pays, ce qui les empêcherait aussi de partir en guerre contre nous. Le Don suisse a montré, pendant une période trop courte, le chemin à suivre. A la fin de la dernière guerre, j'ai travaillé pendant deux ans comme médecin du Secours aux enfants, organisé en Sarre (à Sarrebruck) par le Don suisse et le Service civil international. J'ai pu me rendre compte qu'en calmant la faim des nourrissons et des enfants, en les protégeant contre le froid par des distributions d'habits et de souliers, en guérissant leurs maladies, notre secours gagnait à notre pays, aussi bien dans la population que dans les autorités, une sympathie profonde et durable. Chaque gouvernement sait qu'il doit ménager sa popularité. Il hésitera à déclencher une guerre manifestement injuste et opposée aux sentiments profonds du peuple.

C'est pourquoi il n'est pas utopique d'envisager notre défense autrement qu'on le fait. Dans bien des pays, il existe encore des misères et des souffrances que nous pourrions aider à soulager. Les centaines de millions que nous dépensons chaque année pour les armements suffiraient à nourrir combien d'affamés, à soigner combien de malades, à vêtir et à loger combien de ceux qui ont froid et qui n'ont pas de demeure! Lors de catastrophes naturelles, telles que les inondations, les incendies de forêts, les tremblements de terre, nous pourrions être prêts à envoyer aussitôt des contingents de secours. Nous avons bien déjà la Croix-Rouge, l'Aide à l'Europe, le Service civil international (SCI), mais ces œuvres n'ont à disposition que quelques centièmes de ce que représente le budget militaire.

Envisageons notre défense sous un angle nouveau. Au lieu d'accumuler des armes de mort, aidons nos semblables et construisons la paix. Notre défense sera ainsi en accord avec la volonté divine, telle qu'elle nous est enseignée dans l'Evangile. En attendant que notre gouvernement le comprenne, nous pouvons déjà, chacun individuellement, travailler dans ce sens. Ne collaborons pas aux œuvres de guerre et mettons toutes nos forces au service de la paix.

Max-Henri Béguin


Voir aussi: nos pages spéciales Max-Henri Béguin L'homme. Sa vie. Ses combats.
Vous y trouverez une liste de ses articles dans l'essor, mais aussi l'annonce de l'exposition que lui consacre la Bibliothèque de La Chaux-de-Fonds et les textes des allocutions en sa mémoire prononcées le samedi 24 novembre 2018, par ceux qui l'ont connu (dont deux de ses enfants).

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