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La première fois que j’ai rencontré André Gsponer, c’était en 1979 à une réunion convoquée à Lausanne par des personnes qui voulaient mettre en question le projet LEP du CERN (large electron positron collider) qui exigeait le creusement d’un tunnel circulaire à cheval entre la France et la Suisse de 30 km de circonférence. Le gigantisme de ce projet en avait choqué plus d’un, dont par exemple le professeur Jean Rossel de l’Université de Neuchâtel.
Autour d’une table, il y avait je pense une quinzaine de personnes dont la conseillère nationale Monique Bauer-Lagier et Ursula Koch de la Fondation Suisse pour l’Energie (SES – Schweizerische Energie Stiftung). On a débuté par un tour de table. S’est alors présenté un jeune homme: «Je m’appelle André Gsponer, je travaille au CERN, je suis contre le LEP». Etonnement des autres participants. Mais cette affirmation d’un physicien qui disait s’opposer à un projet de l’institution dans laquelle il travaillait, c’était tout André Gsponer. Depuis, nous sommes devenus amis et avons beaucoup échangé.
André avait bien réalisé que les activités scientifiques du CERN étaient dans une certaine mesure futiles – mesurées à l’aune des besoins de la société et de la connaissance du monde – et ne justifiaient pas les énormes investissements que les Etats lui consacraient. La recherche de la ou des particules plus ou moins ultimes était un paravent commode pour développer de la technologie dite de pointe qui aboutirait tôt ou tard à perfectionner des armements. C’est d’ailleurs lorsqu’il a eu la preuve de la collaboration du CERN avec une officine militaire américaine (groupe JASON) qu’André a quitté le CERN.
Pour André, la science devait être au service de la paix. Il s’en est suivi son engagement dans le GIPRI (Geneva International Peace Research Institut) mis sur pied par Roy Preiswerk et quelques autres. André en était l’employé principal tout en développant ses compétences en matière d’armes nucléaires pour pouvoir mettre en garde contre ces applications destructrices de la science. Malheureusement il ne fut guère suivi par le Conseil de fondation et le GIPRI se divisa en deux groupes. D’un côté, les «notables» dont Mme Bauer-Lagier et le président Berenstein et de l’autre André et ceux qui le soutenaient. Parmi ceux-ci, il y avait Théo Ginsburg, Konradin Kreuzer (qui lança plus tard l’idée d’un Conseil de l’Avenir) et même Griselidis Real. La ligne des notables ayant été approuvée en assemblée générale, André démissionna aussitôt et le GIPRI cessa progressivement d’exister.
Mais pas André. La critique de la science au service du pouvoir devait se poursuivre et il proposa de le faire par une reconversion du CERN en un institut orienté vers les besoins réels de l’humanité et de la paix. Pour donner forme à cette idée, il fit appel à Jacques Grinevald, Lucile Hanouz et moi et, en 1984, nous avons publié aux Editions d’En Bas «La quadrature du CERN». Pour la préface, André fit appel à Robert Jungk qui avait pourtant publié en 1966 un livre à la gloire du CERN: «Die Grosse Maschine». Non seulement Jungk accepta d’écrire cette préface, mais il fit rééditer son propre livre de 1966 en y ajoutant une postface (Ein Nachwort – zwanzig Jahre später) dans laquelle il explique son cheminement de l’enthousiasme pour «La Grande Machine» au soutien de la reconversion du CERN proposée par André.
À la demande d’André, j’ai traduit ce texte remarquable en français (document ISRI-04-03.02 Fébruary 27, 2004). Entretemps, André avait créé l’ISRI (Independent Scientific Research Institut) dans le cadre duquel il publia articles et travaux de recherche. L’ISRI comblait manifestement une lacune car la plupart des instituts de recherche ne sont pas vraiment indépendants.
Ici s’arrête ma collaboration directe avec André. Mais nous avons continué à échanger. Il a continué ses travaux en physique théorique à Oxford alors même que sa santé déclinait rapidement. Il savait sa fin proche. Sa dernière lettre date du 17 février 2009 à laquelle il avait joint un tiré-à-part de son dernier article publié dans L’European Journal of Physics (30, 2009, 109-126). Il a conclu sa lettre par cette phrase émouvante: « Je crois que j’ai assez vécu et souffert pour m’en aller le plus discrètement possible… »
Adieu André et merci pour ce que tu as fait.
Pierre Lehmann