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Il y a une vingtaine d'années, chaque propriétaire de vergers, d'arbres fruitiers, ramassait les fruits – pommes ou poires –, les triait, éliminait les fruits pourris, ensachait toute sa récolte et allait la livrer à un centre de ramassage qui faisait du jus de pommes ou de poires. Ce pur jus, qui était doux, constituait une boisson familiale surtout prisée des enfants. Avec le temps ce jus fermentait et donnait un cidre qui était consommé par tous les paysans lors des travaux des champs ou lors des repas quotidiens. Les revenus engendrés par cette récolte n'étaient pas bien élevés, ils se résumaient à quelques centaines de francs mais cela permettait quelques petits superflus qui étaient les bienvenus.
Aujourd'hui, lorsqu'on se promène en automne dans nos campagnes, on constate que les fruits en question gisent dans l'herbe au pied des arbres et que personne ne les ramasse plus; dévorés par les guêpes, ils pourrissent en tas jusqu'à être recouverts par la neige de décembre. Personne n'ose s'aventurer sous ces fruitiers privés pour en ramasser les fruits, d'ailleurs je ne suis pas certaine que les intrus seraient bien accueillis. On défend sa propriété et on laisse perdre les fruits qui pourraient réjouir des familles dont les revenus ne peuvent pas permettre l'achat en magasin. Pourquoi n'y a-t-il aucun système d'entraide qui permettrait la récolte de ces fruits inutilisés, rendant ainsi service autant aux agriculteurs qu'aux personnes désargentées et sans doute aux enfants?
Depuis deux ans je fais une triste expérience. N'étant plus apte à grimper au sommet de mon cerisier, j'installe une échelle et invite amis et connaissances à venir cueillir des fruits noirs, juteux et sucrés. Personne ne vient. Si je cueille moi-même et vais porter les fruits à ceux que j'espérais voir dans mon jardin, alors là, je suis accueillie avec reconnaissance, avec des éclats de bonheur, avec gourmandise et gratitude. Que faut-il en déduire? Manque de temps, paresse, désintérêt, peur et ignorance de la nature? Heureusement les étourneaux ne ménagent ni leurs pépiements, ni leur boulimie. Ils dépouillent mon arbre en quelques tours de becs, je les en remercie.