Logo Journal L'Essor
2024 2023 2022 2021 2020 2019 2018
2017 2016 2015 2014 2013 2012 2011
2010 2009 2008 2007 2006 + 100 ans d'archives !
Rechercher un seul mot dans les articles :
Article suivant Numéro suivant
Numéro précédent Article précédent   index de ce numéro

Février 2014
L’illusion nucléaire
Auteur : Pierre Lehmann

Avec l'utilisation de l'énergie nucléaire, l'humanité s'est embarquée dans une illusion. Elle a cru qu'elle avait trouvé la méthode pour disposer d'autant d'énergie qu'elle pouvait désirer, et ceci, sinon pour toute l'éternité, mais en tout cas pour très longtemps. La bombe atomique avait montré qu'avec très peu de matière on pouvait produire énormément d'énergie et il ne restait plus qu'à la libérer de manière contrôlée. Cette perspective avait provoqué une sorte d'euphorie appelée «l'atome pour la paix», euphorie qui a empêché les pouvoirs d'État de s'assurer qu'il n'y avait pas quelque part un piège caché.

Il est hélas devenu évident aujourd'hui que notre technologie a dépassé notre humanité.
Albert Einstein

Et il y en avait bien un: la fission d'éléments stables produit des éléments instables, c’est-à-dire radioactifs, émettant divers rayonnements tous dangereux pour la vie. L'énergie produite dans les centrales nucléaires laisse derrière elle un inventaire radioactif gigantesque qui ne diminue que très lentement avec le temps. De mettre cette radioactivité en lieu sûr pose de gros problèmes qui ne sont pas près d'être résolus. De les enfouir sous la terre revient à balayer la poussière sous le tapis. Au lieu d'une bombe atomique, on a mis en place une bombe à retardement. Cette bombe n'est pas explosive, mais rampante. Elle peut resurgir beaucoup plus tard au gré de phénomènes tectoniques ou de mouvements d'eau souterraine.

L'énergie nucléaire est la conséquence du fait, démontré par Einstein en 1905, que la matière est une forme condensée d'énergie (E=mc2). Moyennant certaines conditions, la matière peut être retransformée en énergie. La manière la plus simple d'obtenir ce résultat est de faire éclater des noyaux d'atomes lourds (uranium, plutonium) par absorption d'un neutron. Cette fission libère beaucoup d'énergie et en plus environ trois neutrons qui peuvent faire fissionner d'autres noyaux, d'où réaction en chaîne (bombe atomique, centrale nucléaire). Il reste les produits de fission, qui sont tous radioactifs dont certains ont des durées de vie très longues.

La science peut mener à la découverte de l'énergie atomique mais elle ne peut pas nous préserver d'une catastrophe nucléaire.
Vaclav Havel

Contrairement à ce qu'on lit parfois, on ne peut pas décontaminer un terrain pollué par des déchets radioactifs. Tout ce qu'on peut faire c'est le mettre ailleurs, mais où? Il y a aussi eu la proposition illusoire de transmuter les déchets radioactifs en éléments stables par bombardement neutronique. L'usine qu'il faudrait pour cela n'est guère réalisable et je ne pense pas que cette proposition ait été sérieusement envisagée. C'était probablement un argument pour faire croire au bon peuple qu'on pouvait gérer les problèmes causés par l'exploitation de l'énergie nucléaire sans léguer aux générations futures un fardeau trop encombrant.

La seule proposition réaliste pour la gestion posténergétique du nucléaire est de mettre tous les déchets radioactifs qu'une centrale nucléaire a produit pendant sa période de production ainsi que les éléments combustibles irradiés sécurisés dans des containers adéquats, dans la centrale elle-même, de la fermer et de la rendre inaccessible. Les centrales ainsi transformées seront autant de mausolées pour mettre en garde les générations futures contre des projets de production d'énergie non maîtrisables.

Grâce à l'armement nucléaire, puisque nous sommes nés par erreur, peut-être mourrons-nous par erreur.
Coluche

Une fois le nucléaire mis de côté, il faudra se poser la question fondamentale: «De l'énergie pour quoi faire?» C'est bien sûr par là qu'on aurait dû commencer. Car il ne peut pas s'agir de remplacer le nucléaire par d'immenses surfaces de panneaux photovoltaïques ou par de non moins immenses plantations de topinambours destinés à la production de biogaz. L'analyse doit partir de la constatation que le kWh le moins problématique est celui qu’on n’a pas besoin de produire: vivre dans des maisons bien isolées ayant des fenêtres de qualité, renoncer aux appareils d'utilité marginale, aux gadgets, bref, la modestie est probablement la mesure la plus importante et la plus efficace, même si elle contrevient au mythe de la prospérité par l'expansion économique. Tôt ou tard il faudra bien arrêter de produire, car tout ce que l'homme produit sous forme matérielle finit en déchet qu'il faudra mettre quelque part. Et les dépotoirs disponibles sont eux aussi limités dans le monde fini qui est le nôtre. L'activité humaine se réduira donc à la production de nourriture, d'habits, de moyens de chauffage… mais aussi de jeux, de sports et de ballades. On se croira revenu au jardin d'Eden.

Le nucléaire aura été, avec l'UE, la pire sottise du 20e siècle.

NB – C’est le terrain contaminé qu’il faudrait mettre ailleurs.

Espace Rédaction    intranet
© Journal L'Essor 1905—2024   |   Reproduction autorisée avec mention de la source et annonce à la Rédaction  |       Corrections ?