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Au début des années vingt du siècle dernier, la Suisse officielle confie à l’armée, en lien étroit avec les milices bourgeoises (fascistes), le soin de surveiller les quartiers ouvriers tandis que les évêques suisses condamnent à l’enfer les paroissiens qui rejoindraient une organisation socialiste1. C’est pourtant dans ce monde en furie que surgit une solution de sagesse: la coopérative d’habitation capable d’offrir un logement aux familles de travailleurs, hors de tout profit capitaliste.
Octobre 1920 à la Maison du peuple de Lausanne: Léon Nicole est venu présenter le projet genevois de la cité-jardin de 120 logements des jeunes architectes Braillard et Martin. En regard des taudis urbains réservés à la plupart des travailleurs et leurs familles, c’est un rêve. Résolument nouveau, ce projet, porté par l’une des premières coopératives d’habitation, intègre l’impératif de solidarité qui permet des loyers bas. Le modèle genevois inspire la Société coopérative d’Habitation de Lausanne (SCHL) pour son projet de la «campagne» de Prélaz, destiné au logement de 60 familles dont la moitié dans 26 maisons familiales en rangées. Les projets de Prélaz à Lausanne, de la campagne d’Aïre à Genève, d’Hirzbrunnen à Zurich et avec eux des centaines d’autres à travers le pays, témoignent d’un espoir pour les familles de travailleurs. Même si elles doivent accepter des contraintes comme le manque récurrent de transports publics.
Ce rêve de logement est d’ailleurs porté par l’ensemble des travailleurs. A Lausanne, pour son projet de Prélaz, la coopérative doit réunir 600 souscriptions à 300 francs – le salaire mensuel d’un compagnon – et elle y parvient en trois mois. Le solde sera fourni par les banques à un taux exorbitant: 7%! Exemplaire dans son financement, le chantier de Prélaz est inauguré le 15 octobre 1921. L’histoire forte de la coopérative de Lausanne, comme celle de Genève, comme celle des organisations plus petites – l’Association suisse pour l’habitat en recense 225 en Suisse romande – témoigne pour la formule heureuse de la coopérative d’habitation qui répond à une exigence récurrente: le besoin de logements sociaux pour des familles aux revenus modestes.
L’espoir porté par les premiers projets va se prolonger dans des centaines de chantiers répartis sur l’ensemble du territoire. Les coopératives d’habitation qui produisaient un peu moins de 1500 logements avant 1919 passent à 6500 par an jusqu’en 1945, enfin à 9123 entre 1946 et 1960, point culminant du mouvement. Au-delà commence la chute forte des projets de construction pour arriver en l’an 2000, dernier seuil du siècle dernier, à un peu plus de 1000 logements surgis de terre. A cette date la statistique suisse nous indique que 7,10 millions de personnes ont un toit mais que, sur ce total, on ne recense jamais que 330’000 coopérateurs. Demeure l’histoire construite par les Anciens qui ont porté la coopérative d’habitation au niveau d’un idéal au service des familles.
En luttant contre les idées reçues. «En 1932 – indique la coopérative d’habitation de Montreux – nous avons commencé à construire mais notre projet souleva des résistances très fortes parce que nous proposions des logements avec salles de bains pour des familles ouvrières».
La chronique des débuts du mouvement coopératif d’habitation en Suisse romande fourmille de notations semblables. Cette histoire riche qui a suscité de nombreux ouvrages2 aligne des faits plutôt rugueux. La société dans laquelle la coopérative d’habitation est née, celle qui a suivi avec le poids des tristes «idéaux» qui dominaient dans les classes dirigeante jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la montée d’une société toujours moins solidaire ont marqué ces cent ans d’existence. Ce constat n’anticipe pas de changements possibles pour le logement social. Il suffirait que cantons et communes, à la manœuvre sur ce dossier, libèrent plus largement des moyens favorisant une deuxième jeunesse du logement social. C’est autant un vœu qu’un objectif.
1 Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses III, page 129.
2 Les coopératives de Lausanne et Genève ont édité un ouvrage pour leurs 75 ans.