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Parlons de quasi-monopole. Les médias sont principalement dans les mains des Blancs. Donc les Noirs n’ont aucun moyen de faire pression, de modifier ces procédés injustes.
Parlons de la construction de l’information. Lors de la diffusion d’images claires, dites supraliminales, les médias optent souvent pour des représentations du Noir négatives. Juliette Smeralda: «Parallèlement à ces manifestations sournoises (les images subliminales), les médias ont recours aux procédés supraliminaux, pour pérenniser l’image du Noir misérable, incompétent, sale et ignorant (voir les images des journaux TV, qui sont montrées au plus fort de l’audience): le téléspectateur a le temps de se repaître de l’image du Noir dégradé qui lui est exposé dans toute sa surface et en toute impunité. L’objectif de ce dernier procédé est d’entretenir et de pérenniser les stéréotypes négatifs et les préjugés anti-Noirs. Lorsqu’il ne s’agit pas de rendre le Noir inconsistant (place très marginale qui lui est concédée sur l’image), il s’agit d’entretenir de la méfiance ou de la peur à son endroit, d’augmenter le sentiment d’antipathie envers lui, d’empêcher que ne se crée un sentiment d’identification et d’empathie chez les Blancs envers lui».
Parlons de temps de parole. Si on appelle à la télévision un expert Blanc, on lui donne deux minutes de parole. Si on appelle un expert Noir, on lui donne cinquante secondes. De cette manière, le téléspectateur, le Blanc comme le Noir, est conforté dans l’idée que les intelligents sont les Blancs.
Parlons d’instrumentalisation. Dans la publicité, le Noir est souvent un faire-valoir. Dans un rôle subalterne, il soutient la présence importante du Blanc. Quand le Noir «occupe l’espace, son image est bien souvent récupérée et mise au service d’intentions qui le dépassent: faire-valoir, touche exotique, trait d’humour, repoussoir, sexe symbole, alibi social ou figure ancestrale» (Sylvie Chalaye).
Parlons du choix des sujets. «Corruption, pauvreté, polygamie, désordres familiaux… font partie des «mauvaises nouvelles» qui constituent le plus souvent la seule forme de couverture médiatique accordées aux «communautés» noires. Les stéréotypes y tiennent lieu de contenu. Le grand public est victime de ces procédés perpétués par une information unilatéralement produite. Les rares reportages consacrés à quelques activités culturelles demandent, pour être informé de leur diffusion, que l’on soit aux aguets. Les Noirs ne sont jamais invités à commenter les grandes questions d’intérêt public. Lorsqu’ils apparaissent dans des revues ou dans des émissions, ils sont très rarement dans les sections prestigieuses consacrées aux affaires et au style de vie, mais plutôt dans les sections informations, musique et sport».
Parlons d’une vidange nécessaire. Les stéréotypes sont véhiculés par l’éducation en général. On les hérite comme on attrape une mycose aux pieds. Il n’y a pas de honte à en avoir, il y a de la honte à les garder… On lit dans Ahmed Channouf: «L’on peut objectivement refuser des stéréotypes parce qu’on les trouve infondés, mais s’ils font partie de l’héritage collectif de la société dans laquelle on vit, ils sont automatiquement activés, dès que l’on aperçoit un membre du groupe concerné par ceux-ci. Ces stéréotypes activés malgré nous, de manière non consciente, peuvent biaiser nos jugements envers les personnes concernées». Smeralda: «Les stéréotypes raciaux opèrent, en effet, implicitement et le plus souvent, en contournant les valeurs de l’individu». En effet, il peut y avoir «un conflit entre les attitudes et les croyances associées à un système de valeurs égalitaires, et les attitudes et croyances négatives non avouées envers les Noirs». Je dirais que les stéréotypes constituent une espèce de ballast qu’on traîne avec soi. Par des actions conscientes, par des rencontres, on parvient à les détruire peu à peu. Long travail. Tâche nécessaire.
Smeralda insiste sur le fait que les Noirs téléspectateurs reçoivent également ces «traitements», ce qui a un effet psychologique catastrophique: «Les Noirs sont, autant que les Blancs, «consommateurs» de ces procédés, dont ils sont cependant les seuls à être les (victimes-)cibles. L’on peut anticiper leurs effet pervers sur leur autoreprésentation (ils partagent sur eux-mêmes les mêmes clichés négatifs que les Blancs), et l’on peut envisager d’aborder les (présumés ou réels) complexes du Noir comme une conséquence objective de ces procédés médiatiques… La structuration des mécanismes du racisme anti-Noir opère donc de manière symétrique chez les Blancs et les Noirs, mais la cible est l’Autre pour le spectateur Blanc, tandis qu’elle est «le même» pour le (télé)spectateur Noir, qui se construit ainsi étranger à soi-même». Plus loin: «Discréditée, délégitimée, distordue, rendue peu respectable et ainsi peu consistante aux yeux des Noirs eux-mêmes, leur propre image, sur laquelle ils manquent de contrôle, provoque en eux des frustrations énormes pouvant aller jusqu’à une totale perte d’estime de soi; un sentiment d’impuissance; une forme de dépersonnalisation insidieuse aux effets difficilement mesurables…». Le Noir «a du mal à spontanément se construire en tant que sujet doté de valeurs propres et d’estime de soi, en tant que personne totale».
Les citations sans indication de source sont de Juliette Smeralda, tirées des ACTES de la Première Conférence Européenne sur le racisme anti-Noir (fr), Carrefour de Réflexion et d’Action sur le Racisme anti-Noir (CRAN), Berne, 2008.
Ce texte est extrait de l’ouvrage à paraître intitulé
«L’évêque, le footballeur et l’irénologue» de Mireille Grosjean