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«La principale mission du journaliste est d’informer», rappelait souvent le regretté Roger de Diesbach, chantre de la qualité professionnelle face aux «futilités» de la société de consommation. Le journaliste doit en effet informer, c’est ce que lui commande – entre autres principes – sa charte fondamentale (la Déclaration des droits et des devoirs). Mais comment peut-il le faire de manière totalement indépendante alors qu’il est lié par fidélité à son employeur? Un cri d’alarme a déjà été lancé il y a bientôt dix ans. Sous l’enseigne d’«Info en danger», plus de 600 professionnels des médias romands avaient alors signé un appel en faveur de la qualité et de leur indépendance face aux pressions économiques imposées par leurs employeurs. Plusieurs directions et rédacteurs en chef de journaux ont ainsi été pris la main dans le sac, en favorisant l’un ou l’autre de leurs annonceurs, au mépris de la noble mission d’information. Le Conseil suisse de la presse a tranché en faveur de la qualité et de l’indépendance.
Le diable se niche dans les détails. Pourquoi parler du «BCN Tour» en parlant d’une célèbre course à pied populaire du canton de Neuchâtel alors que le «Tour du canton» suffit à la compréhension générale? La Banque cantonale neuchâteloise ne dit pas merci pour cette publicité gratuite. Peu de lecteurs ne s’en offusquent réellement. Que dire aussi des pressions imposées aux journalistes pour ne pas dénoncer les défauts de communication ou les erreurs des entreprises privées? Les employeurs du monde médiatique sont souvent les cordonniers les plus mal chaussés dans ce domaine.
La fidélité à son employeur est certes un élément essentiel dans l’exercice de la profession de journaliste. Les éditeurs et leur partenaire social – l’organisation professionnelle Impressum – en discutent souvent, sans forcément toujours concilier leurs points de vue. Les journalistes ont toujours refusé de transiger sur le contenu de leur déontologie face aux éditeurs, et cela est bien ainsi. Mais il peut arriver que leur journal se transforme en acteur de la société, en faisant valoir ses propres intérêts économiques ou politiques. La frontière entre l’information et l’intox peut ainsi devenir poreuse. Récemment encore, une compagnie d’assurance a organisé un séminaire destiné aux acteurs de la vie économique, politique, sociale et associative du canton de Neuchâtel. Un grand rassemblement de décideurs, qui ne débouche en fait que sur un laudatio journalistique sans distance critique. «Le canton de Neuchâtel a du talent», ont clamé les quotidiens cantonaux à leurs lecteurs. «Fort bien, mais pourquoi a-t-il autant dysfonctionné ces quatre dernières années?». Telle est la question que les journalistes auraient dû traiter à l’appui de cette grand-messe cravatée.
Pourquoi les lecteurs des journaux n’ont-ils finalement que peu accès au débat critique? Simplement parce que les journalistes ne s’y aventurent pas suffisamment. Ceux-ci prétextent souvent qu’ils n’en ont pas le temps. Leur travail quotidien est en effet fait de tâches multiples, imposées souvent par l’évolution des techniques de fabrication des journaux et leur rentabilité économique. Et la meilleure des enquêtes ne garantit pas forcément l’explosion des ventes au numéro.
Cette noble mission d’information n’est pas objective. La rédaction d’un article dépend en premier lieu de la sensibilité de son auteur et de son appréciation personnelle du sujet traité. A cet égard, les traitements différenciés des présumés problèmes de santé du candidat au Conseil d’Etat neuchâtelois Yvan Perrin ne révèlent pas la vérité dans son intégralité. Avoir l’occasion d’«intoxiquer» le lectorat est tentant. La frontière entre une information légitime et une appréciation subjective des qualités d’une personne publique est poreuse.
La profession de journaliste est dans de sales draps. Son indépendance est attaquée par le business de la publicité. Ses acquis salariaux en Suisse romande viennent de plus d’être remis en question par la dénonciation, par les éditeurs, de la convention collective de travail, alors qu’un semblable accord n’existe plus depuis de longues années en Suisse alémanique. Les journalistes les plus expérimentés éprouvent énormément de peine à se faire engager. Ils sont souvent contraints de se reconvertir professionnellement. La voie du journalisme libre n’est que rarement lucrative. La justice et la police suivent très attentivement l’évolution de leurs rapports avec la presse. La formation académique des journalistes en Suisse est dispersée et soumise aux contingences budgétaires des universités.
Pourtant, la profession reste attrayante, voire prestigieuse. Non pas parce qu’elle procure un accès aisé «aux grands de ce monde» ou qu’elle jouit d’avantages pécuniers particuliers. Non! Justement parce qu’elle permet à la société de se regarder dans un miroir. Encore faut-il, pour cela, que l’information prévale. C’est ce que Roger de Diesbach, qui a quitté ce monde trop tôt en 2009, affirmait déjà.
Philippe Chopard
Journaliste indépendant