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Jean-Paul Borel, de Cortaillod, nous adresse un message en disant: «Ce texte est à vous, chers amis, faites-en ce qu’il vous semblera bon. Personnellement, je ne vous conseille ni ne vous demande de le publier. Cela m’a fait du bien de l’écrire, de vous l’écrire, mais je crains qu’il fasse plus de mal que de bien». Le comité rédactionnel de l’essor a décidé d’en reprendre quelques extraits pour en faire l’éditorial de ce numéro.
(…) Il pourrait être plus judicieux et plus utile de nous interroger d’abord sur l’indignation «ré-flexive», que l’indigné se renvoie à lui-même. En d’autres termes, une indignation interne à la première personne, du singulier et du pluriel. Je commence par moi-même. Figurez-vous que je suis capable de savourer un excellent repas et de l’arroser d’un vin généreux. Mon plaisir est olfactif, quand j’arrive à la cuisine-salle à manger, puis il devient gustatif (ma femme est une cuisinière de talent) et il culmine par un petit café, sans eau-de-vie, mais avec chocolat ou autre douceur. Cela me prend à peu près une heure, donc 3600 secondes. Et il se trouve que je n’ai pas pensé pendant une seconde à tous ceux qui souffrent de misère (…). Je n’allonge pas sur mes propres indignités, et je passe au pluriel.
Nous, les habitants de mon village, avons refusé récemment la fusion avec d’autres communes, de peur de perdre certains de nos privilèges. Nous voyons la politique locale sous l’angle de nos intérêts, individuels ou de notre microsociété de quelques milliers de personnes. Nous nous battons davantage «contre» des autres qui ne sont pas vraiment indignes que «pour» ceux qui en auraient besoin. Nous, les Neuchâtelois, acceptons que les rivalités entre localités et régions l’emportent souvent, trop souvent, sur la recherche du bien-être commun. (…)
S’agissant de nous, les Suisses, les cas concrets sont hélas assez évidents pour que je puisse me contenter de mentionner notre attitude à l’égard des étrangers, avec les tristes renvois de ces derniers temps. Nous Suisses dans l’Europe – dont nous faisons partie sans le reconnaître, parce que c’est (paraît-il) notre avantage de rester en marge – nous reproduisons à l’échelle mondiale la méfiance rencontrée au niveau national, qu’il s’agisse des relations entre États frères, ou entre notre Continent et le reste du monde.
Reste le grand «nous», nous les humains. C’est encore une première personne, un vrai «Je», collectif – que j’assume – je suis indigné de mon attitude face à mon pays, la Terre, sa terre, son atmosphère, son eau, sa générosité, sa beauté. Qu’est-ce qu’il y a en moi pour que j’en sois arrivé là? Je refuse de renvoyer la responsabilité à nos ancêtres, proches ou lointains (…). Le mal qui me ronge est en moi, et c’est de moi que je dois m’indigner.
Vous me demanderez, chers amis de l’essor, vous vous demanderez si je doute de l’homme. Je me le demande aussi, et je n’accepte pas de renier l’humain. Mon cerveau me dit que c’est trop tard, que tout est perdu, mais mes tripes refusent d’abandonner l’espérance. Je ne m’indigne pas, parce qu’on ne peut s’indigner que «contre». Je suis triste, angoissé, mais je crois en l’homme et j’espère encore.