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Juin 2011 °
Pour une école logique
Auteur : François Iselin

«[L'école] cultive ce qu'il y a d'antirationnel dans la nature de l'homme. Elle punit froidement la spontanéité et l'invention. Elle dénature le sens de la liberté. Elle détruit tout ce qui permet d'échapper à la mécanique. Bref, elle perpétue ce manque d'imagination dont les conséquences seront matériellement catastrophiques pour peu que cela continue». Denis de Rougemont, Les méfaits de l'Instruction publique 1929, aggravés d'une Suite des Méfaits 1972, Eureka, Lausanne, 1972, p. 57.


Comme il faudra du temps pour adapter l'enseignement scolaire aux chambardements que les futurs enfants et adolescents auront à affronter, autant y penser tout de suite. «Protéger les générations futures», c'était le vœu pieux de ceux qui voudraient leur épargner les ravages du productivisme. Mais les ravages sont déjà là et la jeune génération, qui supporte déjà le chaos légué par leurs aînés, vivront dans un monde fort diffèrent que celui que nous connaissons. Il n'y qu'à voir la détresse alimentaire, sanitaire, éducative et existentielle que subissent des milliards de jeunes dans le monde. Et ce n'est qu'un début: il reste encore quelques barils de pétrole, des enceintes nucléaires non fissurés, des terres cultivables et irriguées, des saisons clémentes… et des pays nantis où aller subsister.

Nous entrerons dans une ère nouvelle marquée par les effets de la dérive matérialiste du monde «occidental». Son dédain de l'Autre et son mépris de la Planète l'a corrompu et avec lui l'humanité entière. «En voulant singer la nature, nous devenons des primates!». Les enfants de l'ère post productiviste devront non seulement survivre à la déroute de leurs aînés, mais encore en réparer les dégâts. Le meilleur service à leur rendre est de tenter de les y préparer. Il ne s'agit plus de forcer les écoliers à glaner nos sacs en plastique dans les biotopes à crapauds en jouant aux éboueurs, mais de les encourager fortement à assaillir toute maffia pollueuse. Il ne s'agit plus de leur faire admirer ce qui reste de la nature sauvage des «Ecoles à la montagne» mais de les inviter à parcourir les anciens pâturages plantés de tours à lits froids, de canons à neige et d'hôtels de luxe où ils n'iront jamais. Il ne s'agit plus de leur bourrer le crâne du bêtisier des programmes scolaires, mais de les inviter à s'en méfier et créer le leur propre. Ainsi, ils réapprendront à railler, rire et rêver. Quelques pistes:

Comprendre.
L'échec du productivisme industriel et le retour obligé à un mode de production fondé sur l'élevage de la nature leur sera difficile à expliquer et justifier. Déjà l'enfant n'admet plus qu'on le prive de vacances exotiques, de 3 à 4 heures quotidiennes d'échanges virtuels (TV, Internet, I-Pod, etc.) et plus tard, d'une voiture, d'une villa avec «clim» et jacuzzi. Il faudra donc leur expliquer non seulement l'urgence de se débarrasser des camisoles de forces que le marché leur impose, mais de leur intérêt existentiel de rompre avec le matérialisme stérile et abêtissant.

Communiquer.
L'heureux brassage des jeunes venant de tous les coins de la planète rendra indispensable qu'ils puissent s'entretenir. Ceci sans les contraindre nullement à abandonner leurs idiomes, dialectes ou patois au profit du charabia dominant, l'Anglo-yankee que ne pratique d'ailleurs que 5% des humains! Pour s'affranchir de la dictature des langues officielles dominantes, l'espéranto conviendrait à merveille. (...) Son apprentissage – plus prompt et amusant que nos six années d'allemand ! – sera une véritable «récré» qui les rapprochera davantage. Car «Quand les peuples pourront librement se comprendre, ils cesseront de se détester» comme disait l'espérantiste Zamenhof.

Créer.
Car le monde sera à reconstruire sur les décombres d'un siècle de saccages, gaspillages et destructions. Ce chantier planétaire pharaonique ne pourra être que collectif, créatif et ludique. Pour cela il faudra réapprendre à imaginer, inventer et créer et donc que les jeunes s'affranchissent de leur dépendance aux rites consuméristes que leur ont imposées leurs ancêtres. Il faudra tout d'abord réapprendre à produire ce dont la nature et ses habitants ont besoin. Faire un feu, réparer un appareil, tailler une vigne, planter du blé, conduire un troupeau… deviendront indispensable à la survive car les marchés se videront de la plupart de leurs produits devenus irréalisables, intransportables et périssables, faute d'énergie fossile. Il faudra se satisfaire de ce monde rural que repeuplera un gigantesque exode urbain.

Les démiurges productivistes qui par vanité voulaient se passer de la nature en la plagiant seront jetés dans leurs poubelles industrielles. La nature mortifiée prendra le dessus, on ne la vénérera plus comme les anciens le faisaient, mais on la soignera comme sa sève, son sang et sa propre chair. Ainsi, notre Terre-mère, Gaïa ou Pacha Mama, retrouvera, avec l'homme intégral, sa dignité perdue, son inépuisable pouvoir réparateur, créateur et procréateur.

Le préalable à ce «retour en avant», cette renaissance d'une humanité redevenue humaine est que tous les aînés que nous sommes encore débarrassent la terre de ses misérables destructeurs de biens, saboteurs d'espoirs et torpilleurs de paix. C'est là que se joue l'avenir du monde, cet avenir possible, car malgré ses désastres, le court XXe siècle a apporté indirectement suffisamment de connaissances scientifiques et techniques pour que, au bord de l'abîme, le dos au mur, le couteau sous la gorge, il soit encore possible d'espérer.

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