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Février 2011
L’illusion populiste pervertit le débat politique
Auteur : Claude Torracinta

Depuis quelque temps nous assistons à une inquiétante montée du populisme dans plusieurs pays européens. Désorientés par la crise et le sentiment d'impuissance des partis au pouvoir, inquiets devant les effets de la globalisation, des électeurs se laissent séduire par les discours extrémistes. La Suisse n'échappe pas à cette dérive. En manipulant les chiffres et les faits, l'UDC offre des réponses simplistes à des problèmes complexes. De même, le Mouvement citoyen genevois pratique en permanence l'anathème et la démagogie tout en prétendant parler au nom d'une majorité silencieuse que lui seul défendrait.

Certes, le mot populisme est polymorphe. Il recouvre des notions différentes selon les pays. Ses variantes sont nombreuses. Mais on retrouve partout les mêmes constantes, le même rejet de la classe politique et des élites, les mêmes peurs identitaires, le même refus du multiculturalisme, le même rejet de la solidarité, le même conservatisme moral et politique.

En Suisse comme ailleurs, le populisme s'affirme autour d'un tribun charismatique qui, à coups de slogans réactionnaires, prétend exprimer le bon sens populaire et résoudre d'un coup de baguette magique les problèmes les plus complexes. Plus qu'une idéologie, c'est un style. Un style qui n'hésite pas à recourir à l'insulte et à la déconsidération de ses adversaires. Il suffit d'écouter certains discours de Christoph Blocher ou d'observer les affiches de l'UDC pour s'en convaincre. Confronter les programmes, opposer des propositions, est l'essence même du débat démocratique. Mais, diaboliser l'adversaire comme le font les populistes, c'est desservir la politique et offrir un spectacle affligeant. Sans dialogue, sans respect de l'autre, il n'y a pas de débat, pas de démocratie.

Né de la démagogie et de la crise économique, le populisme se nourrit de cet abaissement du débat politique et de la perte de confiance des citoyens dans la capacité des élus à affronter les temps difficiles que nous vivons. L'idéologie blochérienne capitalise sur l'angoisse de citoyens qui se sentent désécurisés par la modernité et les bouleversements du monde. Nombreux sont ceux qui ont peur pour leur emploi ou leur retraite, peur pour l'avenir de leurs enfants. Est-on vraiment conscient dans les partis de droite et les milieux patronaux de l'ampleur de ces angoisses, du sentiment de précarité dans lequel vivent de nombreux Suisses, de cette défiance croissante à l'égard de la politique et des institutions? Mesure-t-on bien les effets dévastateurs qu'ont eu les bonus excessifs et les salaires indécents dans une partie de l'opinion?

Dans ce contexte il est facile pour les populistes de dénigrer les élus et de promettre des lendemains qui chantent. Peu importe si ces promesses reposent sur du vent et sont contredites par les faits. Peu importe si la Suisse de carte postale figée dans un passé idéalisé que célèbre l'UDC est synonyme d'exclusion, d'égoïsme et de rejet de celui qui est différent. Ce qui compte, c'est de dénoncer ses adversaires à coups de slogans simplistes dans une attitude purement protestataire. Alors que la crise économique et financière, la globalisation des marchés ou le changement climatique, sont des défis majeurs qui exigent des solutions difficiles et complexes, l'UDC propose de revenir aux solutions du temps passé. Chantres d'un Alleingang illusoire, ses dirigeants capitalisent sur la peur. Ils exaltent les valeurs patriotiques et le repli sur soi, renforçant les sentiments de frustration et l'inquiétude d'une partie de l'opinion.

En prônant le «moins d'État», en démantelant la loi sur le chômage, en s'opposant à la limitation des bonus des dirigeants des banques ou en remettant en cause certaines conquêtes sociales de ces cinquante dernières années dans une vision purement libérale, les partis de droite font le jeu des populistes et de l'UDC. Ils renforcent l'angoisse des plus fragiles de notre société et les jettent dans les bras de ceux qui leur promettent la lune.

Pour combattre le populisme, pour redonner confiance à ceux qui se sont laissés séduire par des discours simplistes, c'est au contraire d'un État régulateur dont nous avons besoin. Ce n'est pas du moins d'État qu'il faut pour combattre l'illusion populiste et les dérives auxquelles nous assistons, mais du mieux d'État. Un État garant du contrat social, acteur majeur en matière de recherche, d'éducation, de formation et de relance économique. Un État qui fait de la solidarité avec les plus faibles l'alpha et l'oméga de son action. Un État qui sait que la diversité est source d'enrichissement. C'est à ce prix et à ce prix seulement que nous dissiperons cette illusion populiste qui pervertit le débat politique. Car l'histoire nous enseigne qu'il ne faut pas prendre à la légère les dérives du national-conservatisme auxquelles nous assistons depuis quelque temps et qu'il devient urgent d'agir.

Claude Torracinta
journaliste, Sézenove (Genève)
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