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Décembre 2010
L’apport de l’islam au christianisme égyptien
Auteur : Sandrine Keriakos Bugada


Parler des chrétiens d'Orient c'est le plus souvent, à l'époque contemporaine, évoquer la situation critique de communautés minoritaires dont les rapports sont malaisés avec un islam majoritaire et écrasant. Le récent massacre de chrétiens en Irak l'illustre parfaitement et le cas de l'Egypte reste à cet égard le plus cité. Les médias véhiculent en effet le constat récurrent d'une situation inchangée depuis que l'islam s'y serait imposé par la force et par le sabre. On ne peut le nier, les conquérants venus d'Arabie ont bien dominé le bassin nilotique dès le VIIe siècle, le bouleversant soudainement et jusqu'à aujourd'hui tant sur le plan politique, économique, social, culturel, religieux qu'architectural. Il ne s'agit en aucun cas ici de nier la condition avilie des coptes, mais davantage de nuancer l'idée d'un rapport conflictuel; car à certains égards, le christianisme égyptien est «redevable» à cet islam souvent dépeint négativement lorsqu'il est question des relations interreligieuses en Egypte.

Replacée dans son contexte, la première confrontation de l'islam et du christianisme sur l'ancienne terre des Pharaons fut plus pacifique qu'on ne l'imagine. D'emblée, les coptes se sont vu conférer le statut de dhimmi-s. Il s'agit là d'une disposition du droit musulman instaurant un régime de «protection» à tout non-musulman qui accepte la domination de l'islam. Si ce principe de la dhimma fut controversé et finalement aboli au XIXe siècle lors de la création de l'Egypte moderne et de l'apparition du concept d'égalité entre citoyens d'une même nation, ce statut de «protégés» ou en définitive de «citoyens de seconde zone» s'avérait plus propice à la condition des coptes qu'il n'y paraît de prime abord.

Dans la vallée du Nil, le christianisme s'est imposé et fut majoritaire dès le IIe siècle. Or l'Empire romain – dont l'Egypte était une province – était hostile à la nouvelle religion et perpétra de nombreux massacres à l'encontre des coptes. Le plus sanglant eut lieu en 284 sous l'empereur Dioclétien, marquant ainsi le début du calendrier copte, plus communément appelé l'ère des martyrs. L'Egypte est ensuite passée sous la domination de l'Empire romain d'Orient; là encore, les relations étaient tendues entre Byzance et Alexandrie. Bien que l'empereur Théodose eût proclamé le christianisme religion d'Etat, l'Empire était en réalité affaibli en raison de doctrines chrétiennes dissidentes qui l'empêchaient d'exercer un contrôle religieux absolu sur l'ensemble de ses territoires. Le débat théologique survenu à Chalcédoine en 451 devait permettre de rassembler l'Empire autour d'une seule et même idéologie. Mais les coptes, adeptes du monophysisme et refusant de se rallier à l'Eglise byzantine, furent dès lors considérés comme hérétiques et entrèrent à nouveau dans une période noire de leur histoire avec de nouvelles vagues de persécutions.

C'est dans ce contexte d'extrêmes tensions que l'islam fit, en Egypte, son entrée par la grande porte. En 642, ‘Amr ibn al-‘âs, commandant en chef des armées musulmanes, conquit le pays pour le compte du calife ‘Umar et mit fin aux persécutions d'Héraclius (610-641). Ainsi les conquérants furent-ils accueillis par les Egyptiens – alors majoritairement chrétiens – comme de véritables libérateurs. Tandis que les Byzantins voulaient imposer la doctrine officielle de l'Empire, les musulmans témoignaient d'une certaine bienveillance à l'égard des coptes à qui ils garantissaient finalement la pratique de leur religion. Le concept de martyr copte est souvent lié à l'idée d'un islam dominant et avilissant dont le chrétien égyptien serait une victime. Or la martyrologie copte est en réalité née dans le contexte même du christianisme, d'une doctrine voulant en imposer une autre, l'islam, au contraire, n'ayant pas véritablement mené de politique de conversions forcées à son arrivée dans la vallée du Nil. La première rencontre de l'islam et du christianisme égyptien a donc eu pour effet d'apporter avant tout à ce dernier une protection et une forme de liberté de culte, signe d'un esprit de tolérance.

Par la suite, islam et christianisme ont cohabité de manière plus ou moins pacifique, dans un rapport d'influences réciproques. Preuve en est, on en conviendra, les particularités locales que le culte copte revêt aujourd'hui encore et qui pourraient en partie s'expliquer par un apport de l'islam. Pensons notamment aux pratiques dévotionnelles à caractère populaire, comme le mouled (commémoration festive d'un saint). S'il s'agit d'une pratique répandue et vivante chez les coptes s'inscrivant dans la dévotion sans cesse renouvelée des saints, elle est en réalité née sous l'influence de l'islam qui le premier, sous l'impulsion des dirigeants Mamelouks (1250), instaura cette célébration. Aujourd'hui encore, les saints chrétiens sont fêtés de la même manière que leurs homologues musulmans, révélateurs d'une culture commune initiée dans ce cas précis par l'islam.

On parle le plus souvent des apports du christianisme à l'islam en raison de l'antériorité du premier par rapport au second. En Egypte pourtant, on est en droit de parler d'un échange mutuel et d'un véritable apport du dernier monothéisme à sa grande sœur chrétienne. Les chrétiens se sont inspirés des aspects dévotionnels et culturels de l'islam tandis que ce dernier a fait preuve, en Egypte, d'une très haute tolérance en s'adaptant à la population conquise, créant ainsi, à diverses périodes de l'histoire égyptienne, les fondements d'un dialogue et d'une cohabitation quasi pacifique.

Sandrine Keriakos Bugada
Docteur ès lettres, La Chaux-de-Fonds



«Le monde de demain se construit l'un avec l'autre et non pas l'un contre l'autre.»

Cheikh Khaled Bentounes

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