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L'épuisement du pétrole n'est qu'une échéance parmi d'autres. Comme les effets des crises à venir s'aggraveront en se combinant, il est nécessaire d'examiner l'ensemble des menaces qui pèsent sur l'humanité et sa planète. La dénonciation de ces périls n'est ni agréable à entendre, ni facile à admettre, mais faut-il pour autant les ignorer? Des «catastrophes imprévisibles»2 menacent l'espèce humaine et des régions entières, devenant invivables, verront leur population s'enfuir ou disparaître. C'est pourquoi il ne s'agit plus seulement de s'informer, mais de se préparer à prévenir le pire. C'est une question de conscience, de résistance et de solidarité.
Certains se réjouiront de l'après-pétrole: fini le vacarme des voitures, camions, avions, engins de chantier, tracteurs ainsi que leurs émissions de gaz polluants et dévastateurs; fini le bétonnage à tout va, finis les ravages du plastique et des marées noires, finies les guerres entre prédateurs d'or noir… Pourtant, cette pénurie aura de graves conséquences. Jadis, le charbon remplaçait le bois qu'on épuisait, puis le pétrole succédait au charbon, enfin le nucléaire répondait à la cupidité croissante des marchands de force, de chaleur et de polymères. Ainsi, la boulimie d'énergie, artificiellement créée, put être satisfaite et les profits assurés pendant un siècle en vidant les réserves fossiles, non renouvelables.
L'après-pétrole s'annonce comme la pire catastrophe de l'histoire humaine, non pas que nous manquerons d'énergie, loin de là, mais parce que les ressources les plus abondantes et renouvelables n'ont plus été exploitées depuis un siècle ou deux. Cette impasse énergétique était prévisible et annoncée depuis longtemps. Un exemple parmi d'autres, par Augustin Mouchot qui écrivait il y a 140 ans3:
«Si dans nos climats, l'industrie peut se passer de l'emploi direct de la chaleur solaire, il arrivera nécessairement un jour où, faute de combustible, elle sera forcée de revenir au travail des autres agents naturels. Que les dépôts de houille et de pétrole lui fournissent longtemps encore leur énorme puissance calorique, nous n'en doutons pas. Mais ces dépôts s'épuiseront sans aucun doute. […] Pourquoi n'en serait-il pas de même un jour d'une provision de combustible où l'on puise si largement sans jamais combler les vides qui s'y forment. […] Ainsi, dans un avenir lointain sans doute, mais qu'on essaie déjà de calculer, l'industrie ne trouvera plus en Europe les ressources qui sont en partie la cause de son essor prodigieux. Que fera-t-elle alors»?
Parmi les conséquences de l'après-pétrole, la principale sera l'élévation de la température terrestre suite à l'accumulation des gaz de sa combustion. Une autre conséquence sera l'inévitable abaissement du confort thermique dans les habitats des régions froides de la planète. Si, faute de combustible abordable ou disponible, une fraction de leurs habitants migrera vers des climats plus cléments, la grande majorité, vivant dans les logements actuels, mal ensoleillés et mal isolés, ne le pourra pas. Comme 52% de la consommation d'énergie des ménages suisses est couverte par le pétrole, son renchérissement deviendra tragique, pour les plus démunis.
En effet, en Suisse, par exemple, près de 90% des habitations sont chauffées par des radiateurs4. Ce taux est de 94% pour les logements en location. Cela signifie que le recours à des moyens de chauffage alternatifs, tels que des poêles à bois qui impliquent un approvisionnement considérable et l'évacuation des gaz de combustion, deviendra un casse-tête. Actuellement la plupart des chaudières à mazout ou à gaz naturel ne peuvent brûler de combustibles alternatifs tels que copeaux, bûches ou granulés de bois. Leur reconversion sera donc coûteuse, laborieuse, voire impossible, vu l'ampleur et l'urgence de la tâche.
Cette perspective est d'autant plus inquiétante qu'aujourd'hui 70% des bâtiments d'habitation sont chauffés avec des combustibles fossiles (mazout, gaz naturel ou charbon). Vu le sous-développement énergétique par la priorité donnée au «tout fossile» pour les populations victimes du productivisme, l'apport de l'énergie solaire, réduit à 0.1% à la veille de la syncope pétrolière, restera longtemps dérisoire5.
Les bâtiments existants doivent être tempérés, mais les dispositifs de chauffage alternatif et d'appoint, courants dans les constructions traditionnelles, ont tous été supprimés: canaux de fumée, abris pour le stockage du bois, cheminées d'évacuation, et surtout ces puissants «capteurs solaires domestiques» qu'étaient les porches, oriels, baies, vérandas et verrières…
Autant les champions de l'économie productiviste ont négligé les effets d'une pénurie énergétique mondiale – 67% de l'énergie consommée provient du fossile! – autant, ils ont dédaigné tous les autres risques découlant d'une pénurie fossile: la prévention ne paie pas!
Lorsque l'on aborde la question de l'après-pétrole, il faut évoquer aussi l'après séismes, l'après montée du niveau des mers, l'après canicule, l'après déluge, l'après mousson… car la prévention, l'assistance aux victimes et la reconstruction ne peuvent être assurés actuellement qu'avec du pétrole.
En Suisse, le risque sismique est «le plus important des risques naturels»6. Selon les experts, «en Suisse comme ailleurs, le risque sismique a longtemps été sous-estimé, et dans une large mesure ignoré». Si les séismes sont inoffensifs en eux-mêmes, ce sont principalement les bâtiments, en béton armé, de moyenne hauteur notamment, qui tuent en s'effondrant. Or le risque sismique s'est d'autant plus aggravé que le nombre de ces constructions a quintuplé depuis un siècle et que les nouveaux ouvrages ont été de plus en plus élevés, lourds et fragiles.
Ainsi «il faut s'attendre à l'avenir à de forts tremblements de terre en Suisse», préviennent les sismologues de l'EPFZ. Cependant, là encore, le renforcement préventif des structures reste négligeable et l'on n'ose penser à ce qui resterait de Bâle –détruit en 1356 par un séisme de magnitude 6.9 sur l'échelle de Richter –, de Viège (en 1855; 6.4) ou de Sierre (en 1946; 6.1) si nos villes actuelles subissaient de tels séismes.
Prenons, par exemple, le cas des énergies alternatives, le solaire en particulier. La propagande trompeuse consiste à faire croire que ce secteur serait en voie de développement rapide et constituerait une alternative au fossile. Rien n'est plus faux. D'une part, les réalisations sont dérisoires, inappropriées et leurs apports resteront insignifiants face à la promotion délirante du gaspillage d'énergie dans les pays nantis.
Outre le tapage médiatique sur les éoliennes, le photovoltaïque, ou la géothermie, l'illusion d'un «solaire providentiel» est entretenue par M. Bertrand Piccard et son «Solar Impulse»7. Sans entrer sur l'insignifiance de ses recherches, rappelons une évidence que son «savanturier», comme il se désigne, a trop tendance à taire: le choix d'un avion volant au solaire est erroné et jamais aucun appareil, socialement utile, sustenté et propulsé par de l'énergie solaire directe ne volera.
En effet lorsqu'un véhicule aérien ne dispose que de très peu d'énergie, car l'énergie solaire est longue à capter et lourde à stocker, il faut l'épargner. Or dans un avion, les deux tiers de son carburant ne servent qu'à le maintenir en l'air et un tiers à le déplacer8. Ainsi, malgré ses inconvénients, un engin «plus léger que l'air» tel que ceux développés actuellement9, est la seule solution qui permettrait de transporter davantage de charges que ses batteries et son pilote! Notons encore que son slogan de ce génial Icare «voler sans carburant ni pollution», frise la mauvaise plaisanterie.
Ces mensonges par omission n'ont qu'un but: éviter que de réelles économies d'énergies pénalisent les industries pétrolières, automobiles, nucléaires et affectent les fabuleux profits qu'ils procureront encore pendant quelques décennies.
Si certains promoteurs des alternatives solaires se limitent à gesticuler, d'autres, tels les tenants du nucléaire mentent effrontément. Combien faudra-t-il de catastrophes pour les faire taire? Pourtant, un nouveau désastre vient de nous être annoncé.
A Asse, en Basse Saxe, avait été installé un dépôt de déchets «faiblement et moyennement actifs», ce qui veut dire qu'il devait les entreposer, en toute sécurité, pendant au moins 300 ans, soit jusqu'à l'an 2300. Et bien, il aura suffi de quelques décades pour que leur confinement ne cède provoquant ainsi des fuites croissantes d'effluents radioactifs.
La CEDRA/NAGRA suisse –Société coopérative nationale pour l'entreposage des déchets radioactifs – écrivait en 1979 à propos d'Asse: «Les inclusions de saumure découvertes lors de forages à une profondeur de 870 m ne menacent aucunement les 125'000 fûts déjà entreposés dans la mine d'Asse»10.
Il y a quelques mois nous lisions dans la presse: «Les autorités de surveillance recommandent l'évacuation rapide des 126'000 barils de déchets emmagasinés depuis 1967 dans une mine de sel de Basse-Saxe rongée par les infiltrations»11. On apprend incidemment qu'il s'y trouve 11 kilos de plutonium, que 12m3 d'eau s'infiltrent quotidiennement, que des galeries s'effondrent et que des barils sont endommagés…
«L'opinion publique n'a rien su pendant trente ans» concluent les articles, mais que sait-on vraiment aujourd'hui? Ce qui est ressassé par contre c'est que l'assainissement de l'entrepôt – s'il était encore possible – durerait une dizaine d'années et coûterait 2.5 milliards d'euros, ce qu'apprécieront sûrement les contribuables allemands!
Qu'en sera-t-il des montagnes de déchets «hautement radioactifs» devant être mis hors de la portée des humains pendant… des milliers, voire des millions d'années?
Alors que les pouvoirs publics font la sourde oreille aux borborygmes des puits de pétrole asséchés, que les gourous des énergies alternatives fanfaronnent avec leurs gadgets et que les industriels nous dupent avec leur «capitalisme vert», leur «croissance durable» dont on ne voit guère les effets, d'autres agissent! Ils se préparent à l'après-pétrole, donc à l'après productivisme tout court, dont ils ont compris les ravages et l'impasse.
Ce sont des millions de personnes, hommes et femmes, jeunes et vieux, paysans et chercheurs qui, sans bruit, un peu partout dans le monde, préparent l'après-pétrole et l'heureuse déconfiture de l'«anthropocène», cette courte période de l'histoire humaine où quelques illuminés ont détruit la nature en voulant stupidement l'imiter…
En deux mots, voici les pistes explorées12:
…et retrouver ainsi le temps de vivre, de créer et d'aimer !
1. Cité par Harald Welzer, Les guerres du climat. Pourquoi on tue au XXIe siècle, Gallimard, 2009, p. 280.
2. Ibid.
3. Augustin Mouchot, La chaleur solaire et ses applications industrielles, Gauthier-Villars, Paris 1869.
4. Carlo Sommaruga, Énergies: Mazout ou solaire. Le chauffage va devoir évoluer. Droit au logement. 15.11.2005.
5. Statistiques 2010 de l'OFS.
6. Hugo Bachmann, Conception parasismique des bâtiments, OFEG, Berne, 2002.
7. Voir aussi: Pierre Veya, Solar Impulse; l'impasse solaire ?, Le Temps, 26.6.2009.
8. Science et vie, numéro 934, juillet 1995, p. 107.
9. Pour les références, chercher par exemple Dirigeables solaires dans Google.
10. Revue NAGRA informe, numéro 3, 1979, p.11.
11. La Croix, 7.2.2010.
12. Coline Serrault documente ces alternatives dans son excellent film Solutions locales contre un désordre global.