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Nous avons estimé que les lecteurs de l’Essor étaient susceptibles d’être intéressés par le débat qu’ont eu récemment Pierre Jeanneret (historien) et Georges Tafelmacher (animateur du GSsA). Nous avons demandé à ce dernier de résumer ce débat.
En réponse à nos questionnements de l’institution militaire, on cherche à relégitimer l'armée en trouvant dans son nouvel usage pacificateur, sa noblesse! La droite dure et sécuritaire ne supporte aucune limitation de l'armée alors qu’elle cherche à mettre des limites au pacifisme. Et pourtant, on doit pouvoir mettre l’armée en question et contester son emprise si nous voulons évoluer vers une société pacifiée et promouvoir la paix par d'autres moyens que ceux des armes.
Que nous prouve le recours aux armes? En parcourant l'histoire meurtrière des hommes, nous pouvons constater qu'aucun recours aux armes n’a abouti à une période de paix citoyenne ou de meilleurs relations entre les hommes, ni même à une amorce de démocratisation ou de liberté. Par exemple, la révolte armée de Spartacus contre le pouvoir esclavagiste romain l'a amené à être crucifié avec tous ses camarades dans un bain de sang effroyable. La résistance armée des Camisards protestants contre l'intolérance autocratique royale a mis Louis XIV dans une telle colère qu'il a détruit le pays, incendiant mas et hameaux et déportant ses habitants vers le Canada et l'Afrique du Sud. Dans l'ex-Yougoslavie, ce ne sont pas les bombardements à l'uranium appauvri et l'occupation par les troupes de l'OTAN qui ont renversé Milosevic mais les grandes manifestations populaires. Les américains, ayant conquis leur indépendance par les armes, ont vécu par les armes comme en témoignent les guerres indiennes, la guerre civile, la guerre hispano-américaine, la conquête de l'ouest par le Colt45 et la Winchester, les tueries dans les lycées et le deuxième amendement. L'énorme effort militaire des Américains et de l'Armée rouge pour écraser le nazisme a produit les plus grandes dominations impérialistes qu’on ait connues, soumettant des milliards de gens à l'arbitraire du pouvoir de l'industrie, de la finance et de la politique. Sans parler des guerres contre l'Irak et de l'Afghanistan, les plus grands échecs militaires de tous les temps. La Rote Armee et les Brigades Rouges qui ont recouru aux armes pour lutter contre le fléau néolibéral ont été embastillés et le pouvoir économique a pu renforcer son pouvoir et a rendu toute opposition au capitalisme inopérante. Les altermondialistes souffrent encore aujourd'hui de l'option armée de leurs prédécesseurs contestataires et même les anarchistes ne se sont pas relevés de leur épisode terroriste.
Nous pouvons donc tenir pour avérée la supposition que tout recours aux armes, outils au service de la violence et du pouvoir, ne peut engendrer à son tour que la violence, dans une spirale meurtrière sans fin et que tous les sursauts de l'humanité outragée ayant eu recours aux armes ont le plus souvent fini à l'avantage du pouvoir qui a utilisé ce recours aux armes pour justifier sa politique répressive et sanglante et ses réponses armées. Nous pouvons craindre les illusions que peuvent engendrer les armes et la fascination que l’armée exerce sur les esprits impressionnables, car même sous contrôle démocratique d'institutions nationales ou internationales, les armées ne peuvent en aucun cas servir à maintenir ou à promouvoir la paix, parce que cela va à l’encontre de sa véritable nature.
L'armée repose sur l’idée toute faite postulant que seule la réponse armée viendrait à bout de la nature agressive des hommes et résoudrait les problèmes de la violence des humains. Mais l'arme est la représentation la plus forte du pouvoir car elle procure un pouvoir de vie ou de mort sur les autres. Les armes n'ont jamais libéré les hommes, elles n'ont fait que rendre la conquête de la liberté encore plus meurtrière et sanglante. Tous les cas de tentative de libération par les armes se sont soldés par un échec retentissant, le plus souvent à l'avantage du pouvoir qui en profite pour se donner un «droit» à la guerre et de faire du recours aux armes, même les plus sophistiquées, la seule solution possible. La guerre contre le terrorisme, appuyée par une politique répressive et armée, nous démontre bien ce postulat.
Le refus du recours aux armes, contrairement à une fausse idée très répandue, n’est pas un acte de repli sur une Suisse isolationniste et égoïste. On veut nous faire croire que les valeurs démocratiques et de la paix ne peuvent être défendues que par l'armée à l'exclusion de toutes autres possibilités non-violentes, pacifiques et associatives. Si on est réduit à prendre les armes, c'est que la situation s'est tellement péjorée que l'on n'a que cette solution pour se défendre. Mais à aucun moment ne s’est posée la question de savoir pourquoi la situation s'est pareillement dégénérée, qui l'a laissée se dégrader et pourquoi rien n'a été entrepris pour ne pas en arriver là. Au fond, tout se passe comme si on faisait tout pour rendre le recours aux armes acceptable. Ce n'est pas s'illusionner que de croire pouvoir abattre le totalitarisme par les seules méthodes de la non-violence dans la mesure où ces méthodes seraient appliquées dès le début des conditions pouvant amener aux dictatures.
Les arguments présentés par les généraux prompts à chercher toute justification de leur corporation servent surtout à une «relégitimation» de l'armée. Le métier des armes essaie de trouver dans ce nouvel usage qu'est la promotion de la paix et les missions de maintien de la paix, sa noblesse perdue. L'armée ne peut être «noble» parce que la nature de sa mission première est sanglante et meurtrière car elle est celle de «faire la guerre». Le véritable angélisme serait de croire que l'on peut conquérir sa liberté ou sa dignité par les armes ou que l'armée aurait acquise une «noblesse» en maintenant la paix. Pour nous syndicalistes, altermondialistes, contestataires du système, l'armée a toujours été associée au pouvoir et seule une armée populaire égalitaire sans grades pourrait être légitime et ceci uniquement dans les situations désespérées où elle n'aurait pour tâche unique et première que la libération des gens du pouvoir totalitaire qui les accable. Après avoir accompli cette mission, elle devrait se dissoudre et les participants devraient retourner à leurs activités premières, les uns dans des usines autogérées, les autres dans les forces de police populaires, les autres encore au sein de leurs familles et de leurs quartiers (citations du sous-commandant Marcos).
L’armée se base sur l’idée que l'homme a toujours été violent et guerrier et il le restera toujours malgré toutes nos tentatives de le changer. On apprend bien aux enfants de ne pas être agressifs et ils sont punis s'ils affichent des attitudes violentes ou s'ils contestent l'autorité ou la mettent en question. On leur apprend à ne pas réagir avec les poings et on leur enseigne de régler leurs différends d'une manière pacifique et respectueuse de l'autre. On leur fixe des limites, on fait de la prévention contre leur violence et les forces de l'ordre sont envoyées contre eux à chaque occasion. Et voici qu'une fois arrivés à l'âge adulte, on les envoie à l'armée pour leur apprendre à tirer, à tuer, à réagir avec des armes à la main en prétextant que l'homme serait fondamentalement mauvais et que vouloir son changement serait de l'angélisme ou du pacifisme bêlant! Quel démenti de l'ordre social pacifié on essaie de leur inculquer!
Rendre la justice par les armes, c'est comme rendre œil pour œil ou dent pour dent, cela a plutôt tendance à rendre sourd, aveugle et édenté et cela n'a jamais résolu les problèmes des hommes, ni jamais apporté la paix. Travaillons, au contraire, pour une Suisse internationaliste, sociale et généreuse qui donne l’exemple en réglant ses différends pacifiquement!