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On assiste indubitablement à un regain d’intérêt pour Romain Rolland. Que l’éclipse ait pris fin se manifeste par le fait qu’Albin Michel s’apprête à rééditer le Jean-Christophe — maintenant que le goût pour les longs romans refait surface. Dès 2002 la renaissance rollandienne occupe la scène, grâce à une nouvelle biographie sortie chez le même éditeur. Elle s’intitule Romain Rolland tel qu’en lui-même et est due au professeur Bernard Duchatelet. Le même chercheur avait déjà patronné un recueil de textes de caractère philosophico-religieux consacré à l’évolution spirituelle du prix Nobel 1915: Romain Rolland – Au seuil de la dernière porte (Editions du Cerf, Paris, 1989).
L’Université de Brest, au sein de laquelle Duchatelet a longtemps oeuvré, a par ailleurs publié plusieurs cahiers de correspondance de l’écrivain 1. Actuellement, le premier plan est occupé par Gallimard, qui offre un Paul Claudel – Romain Rolland / Une amitié perdue et retrouvée (Paris, 2005).
Il s’agit de la tentative de Claudel, ancien camarade d’école de Rolland que la vie avait passablement éloigné de lui, de ramener celui-ci à la foi de son enfance. Après sa propre conversion, survenue dans ses jeunes années, le futur ambassadeur avait donné dans un prosélytisme exacerbé 2. Ayant rencontré Mme Rolland, qui était Russe, rappelons-le, sur la voie de la poésie qui leur était commune 3, il réussit à la persuader de quitter son orthodoxie originelle pour un catholicisme de la plus stricte obédience. Mais il n’obtint jamais de l’ami retrouvé le franchissement de la toute dernière porte, soit l’adhésion inconditionnelle au corpus intégral de la doctrine, dont le dogmatisme le rebutait.
Rolland avait fini par admettre l’existence d’un Dieu personnel, mais non l’essence divine du Christ. Il avait pourtant fait – par amitié – un effort de bonne volonté, mais qui ne suffit pas: «…j’ai échoué et je reste sur le seuil» 4.
L’opposition en lui entre la rationalité et le besoin religieux, sentimental, demeurait, irréductible, tempéré par sa grande tolérance, tant à l’égard d’autrui qu’à son endroit! Rolland s’étonne lui-même de l’«étrange dualité de sa nature: une raison ferme, tranquille, inflexible (…) – Un instinct du coeur, qui s’abandonne (…) au puissant courant du fleuve invisible, coulant sous terre, des siècles d’âmes croyantes qui ont précédé» 5. Il n’y a donc pas seulement le ressouvenir de la naïve croyance de l’enfance, celle qu’on lui a inculquée, notamment par sa meilleure amie, sa mère profondément imprégnée des valeurs chrétiennes – mais un sentiment quasi phylogénétique d’une continuité (qu’il a aussi qualifié de sens religieux).
La prière, Rolland la pratiquait en considérant qu’en fait, on se prie soi-même pour se donner du courage. Et lorsqu’il dit le Pater Noster, cela ne représente pas pour lui un acte de foi à proprement parler, personnel, mais bien plutôt un hommage à ses frères croyants, auxquels il se sent solidairement unis - A propos de cette quête, son attitude: «Il y a, peut-être, dans ma non-croyance, une piété» 6.
En somme, bien que tributaire d’un certain environnement et d’une longue tradition, Rolland est habité de convictions qui se ramènent à une sorte de religiosité laïque. Ce qui ne l’empêche pas de se pencher sur les mystiques de l’Occident (Maître Eckhart, voire Tolstoï), ni d’étudier les témoignages indiens (Ramakrishna et Vivekananda, sans oublier son inclination pour la nonviolence de Gandhi).
La position du penseur face au problème religieux se comprend peutêtre mieux en suivant son évolution dans le temps. Il explique son détachement de toute confession positive dans un article paru en 1918 dans la Revue mensuelle de Genève (No XVIII): «Chrétien de race et d’éducation, je me suis détaché, depuis de longues années, de la religion chrétienne, parce que je n’y trouvais plus un flambeau assez brûlant et assez haut pour diriger les pas et réchauffer les coeurs de l’humanité fraternelle».
Personnalité assez riche pour dépasser et résoudre ses contradictions, Romain Rolland n’est pas pour autant dénué de faiblesses. Ainsi, à mille lieues de tout oecuménisme, il ne pouvait surmonter son aversion pour la rigueur protestante. C’est d’autant plus frappant qu’il résidait en terre vaudoise, donc réformée – et ce pendant plus d’un quart de siècle.
Retenons que, comme en politique, il a toujours refusé de se laisser embrigader. Il sauvegardera aussi sur le plan spirituel jusqu’au bout sa farouche indépendance. C’est pourquoi il s’adressera solennellement à sa soeur, dès 1940: «Tu témoigneras que j’ai gardé jusqu’à la fin la liberté de mon esprit, trop religieux peutêtre pour se laisser enrôler à la suite d’une église» 7.