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Pour moi, la créativité, c’est… ?
Vaste sujet en vérité qu’il n’est pas aisé de traiter en restant dans les généralités. Je me suis donc demandé ce qui, dans ma vie, m’avait paru refléter le mieux cette notion. La réponse n’a pas été longue à sauter à mon esprit: l’invention, par Louis Braille, de l’écriture en points saillants qui permet aux aveugles du monde entier d’accéder à la lecture et, partant, à la culture, constitue pour moi l’archétype même de la créativité. Sans Louis Braille, je ne serais pas en mesure de rédiger ces lignes car je n’aurais sans doute jamais été scolarisé.
Et pourtant, apparemment, rien ne prédestinait ce fils d’un bourrelier de la Brie à laisser son nom à la postérité et même à entrer au Panthéon. Louis Braille voit le jour à Coupvray, près de Meaux, en Seine-et-Marne, le 4 janvier 1809. Les outils dont son père se sert pour exercer son métier sont des jouets bien tentants pour le petit enfant. Alors âgé de 3 ans, le petit Louis se blesse un oeil avec un instrument tranchant. Bientôt, l’autre oeil est atteint par sympathie et le petit garçon perd totalement la vue. Comme il fait preuve d’une belle intelligence, ses parents l’envoient à l’école du village où il écoute les leçons dispensées par un instituteur intelligent qui cherche à éveiller son esprit.
En 1819, Louis Braille est admis à l’Institut royal des jeunes aveugles fondé quelque 40 ans plus tôt par Valentin Haüy. Il s’agit de la seule école destinée aux aveugles à cette époque. Les enfants y apprennent à lire grâce à des caractères d’imprimerie gaufrés sur le papier. La lecture demeure toutefois lente et le matériel nécessaire pour imprimer est si volumineux et compliqué que les élèves ne peuvent écrire eux-mêmes.
Il convient de dire ici que ce n’est pas Louis Braille qui eut le premier l’idée d’utiliser des points et non plus des traits pour représenter des caractères. Cette idée appartient à Charles Barbier de la Serre qui met au point, peu avant 1820, une «sonographie » permettant aux militaires de correspondre pendant la nuit. Ce système représente des sons et non pas des lettres si bien qu’elle ne peut satisfaire à l’éducation des aveugles. Ayant assisté à une présentation de ce procédé, Louis Braille n’a de cesse de l’améliorer et d’en faire, dès 1825, un véritable alphabet qui porte, aujourd’hui encore, son nom. Alors que Barbier avait imaginé un système basé sur 12 points, Louis Braille le réduit à 6, ce qui permet d’obtenir des caractères parfaitement perceptibles par la pulpe du doigt.
Les élèves de l’Institut royal s’enthousiasment très vite pour le système de Braille au contraire de certains de leurs professeurs qui craignent qu’en les dotant d’un alphabet spécifique les aveugles soient davantage encore exclus de la société. Il faut donc plus de 20 ans pour que l’écriture braille soit officiellement admise comme instrument d’éducation pour les aveugles français.
Petit à petit, le système braille, grâce à sa supériorité manifeste, se répand à travers le monde, en Europe d’abord, en raison de la similitude des alphabets, puis dans le monde entier. De nos jours, grâce essentiellement aux efforts de l’UNESCO, on peut affirmer que l’écriture braille est universelle. Il est intéressant de relever que le premier ouvrage jamais imprimé en braille hors de France l’a été à Lausanne, en 1859, à 100 mètres environ de l’endroit d’où j’écris ces lignes. Il s’agissait de l’Évangile selon Saint Jean.
Pouvant accéder à l’éducation, les aveugles s’intègrent peu à peu dans le monde du travail. Depuis quelques années, cependant, en raison de l’évolution technologique galopante, cette intégration est sérieusement remise en question. L’avènement de l’informatique ouvre pourtant des perspectives prometteuses parce que, grâce en particulier à l’écriture braille, les aveugles peuvent connaître le contenu de l’écran de l’ordinateur. Ce contenu peut certes aussi être lu par une synthèse vocale. Même si l’enregistrement sonore contribue également à l’information des aveugles, l’écriture braille reste la porte grande ouverte sur la connaissance et on doit à Louis Braille cette ouverture sur la vie.