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À chaque étape d’un processus qui se présente comme une cascade de causes à effets, le travail, la production, puis l’échange, l’usage de la monnaie est nécessaire. Mais la transaction entre travail/marchandises et monnaie est-elle équitable?
Il faut savoir que seules les demandes solvables apparaissent sur le marché. L’argent ne se trouvant pas en possession de ceux qui en auraient besoin, il est facilement détourné de sa fonction première et circule dans des créneaux spéculatifs. La quantité de monnaie mise en circulation est sous monopole des banques qui ne font que transcrire son caractère thésaurisateur au travers d’intérêts et intérêts composés qui alimentent les créanciers au détriment des débiteurs.
Comme emprunteur, l’Etat le répercute sur les impôts, les entreprises sur leurs produits et les particuliers passent à la caisse à tous les niveaux. L’évasion et les cadeaux fiscaux soustraient des ressources à l’Etat qui doit alors se refinancer par la dette publique. On reste sidéré devant l’aveuglement de nos «dirigeants » à vouloir résorber la dette par des économies. L’aberrante logique mathématique qui sous-tend le système ne pourrait être freinée que par une retenue morale. Ceci semble pourtant échapper non seulement à l’ensemble des peuples et de leurs représentants, mais aussi aux économistes et à leurs professeurs qui l’enseignent, occultant consciencieusement ses effets dévastateurs sur les sociétés.
Contrairement aux marchandises et au travail, l’argent a le privilège d’être sans coût de conservation et seul bien liquide par lequel on peut tout acheter, devenant ainsi un moyen de dominer le marché. En effet, son propriétaire peut exercer un chantage pour l’obtention d’un intérêt dit «fondamental» d’environ 5 %, sinon il s’abstient de tout acte économique, rompant ainsi la dynamique.
Peut-on atténuer ce pouvoir dominant de l’argent tout en le conservant comme moyen d’échange neutre? Dans son oeuvre principale, «L’ordre économique naturel», parue en 1916 à Berlin et Berne sous le titre «Die Natürliche Wirtschaftsordnung durch Freiland und Freigeld», Silvio Gesell explique en détail que si l’argent perd de sa «substance» au cours du temps, l’offre et la demande de capital s’équilibreraient par une circulation monétaire non perturbée par les taux d’intérêts. Ceux-ci imposant des obstacles à l’épanouissement complet d’un ordre économique né de la division du travail, ils encouragent l’argent à se déverser dans les caisses d’épargne, où il stagne jusqu’à ce qu’on l’en aspire à coups de nouveaux intérêts.
Cet ordre ne peut s’appeler naturel que dans la mesure où il s’adapte à la nature de l’homme. Il n’est donc pas question d’ordre spontané, d’une oeuvre de la nature. Cet ordre naturel repose sur deux piliers: l’intérêt personnel et l’égalité des chances qui aboutissent ensemble à une «économie franche». Pour Gesell, le capitalisme comme le communisme, forme de «capitalisme d’Etat», ne sont que des étapes vers l’économie franche.
Les marchandises étant par nature périssables, le problème n’est pas leur infériorité sur l’argent mais la supériorité de l’argent sur elles. «Si l’on veut que l’argent cesse de faire peser son joug sur les marchandises, il faut que, comme elles, il rouille, se gâte, se corrode, qu’il tombe malade et que lorsqu’il meurt, les frais d’enlèvement incombent au propriétaire ». Ainsi en faisant subir à l’argent une perte égale à celle que les marchandises subissent en magasin, elles seraient des équivalents parfaits.
Pour cela, il faut passer par l’imposition de frais de conservation à la monnaie et ainsi la rendre «franche» ou «libre». Gesell estime en effet que la thésaurisation disparaît dès lors que le taux de «fonte» annuel atteint ce fameux 5%. Ce système particulier «d’inflation» ne se manifestera pas sous la forme d’une hausse générale des prix, puisque la ponction prélevée sur la monnaie serait réinjectée dans les comptes de l’Etat. Par un système de tirage au sort du choix de billets à remplacer moyennant une taxe, plus personne n’aurait avantage à faire de la rétention d’argent.
Plusieurs applications d’un argent libre ont été tentées et réussies, à Schwanenkirchen en Bavière, à Wörgl dans le Tyrol, sur l’île de Norderney dans les années 30, faisant front à la crise économique de l’époque. Comme on peut s’en douter, les banques centrales ont fait interdire ces expériences. Après une période d’oubli, le début des années 80, avec la généralisation du chômage, la destruction de l’environnement et le surendettement international, voit naître un nouvel intérêt pour ce modèle d’économie alternative. Les LETS dans les pays anglophones, les groupes TALENT en Allemagne/Autriche/Suisse, les groupes SEL, les monnaies régionales en Argentine sont de modestes reprises du principe de la monnaie franche.
Si elle était généralisée, cette réforme du système monétaire, véritable révolution pour nos esprits formatés, serait une formidable thérapie régulatrice. Elle aiderait l’organisme social à résoudre de façon naturelle et progressive les multiples problèmes de crises aussi bien aux niveaux conjoncturel que structurel. Pour envisager cette conversion, peut-être qu’en fonctionnant déjà dans les systèmes alternatifs existants, chacun ferait l’apprentissage mental nécessaire pour appréhender sans peurs excessives un autre mode de fonctionnement!