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La créativité n’a pas bonne presse dans l’univers politique. On lui préfère l’affrontement des idées, le travail d’argumentation et de positionnement, la discussion stratégique. Ce sont, dans ce cas, les neurones du cerveau gauche qui sont mobilisés. Mais nous possédons, dans notre cerveau droit, des neurones qui nous ouvrent à d’autres univers: notamment l’intuition et la créativité. Et au coeur de certains mouvements politiques alternatifs, l’idée de penser l’action politique autrement que par la seule rationalité semble faire son chemin.
J’ai assisté récemment à un séminaire consacré à l’économie solidaire. Les organisateurs avaient eu l’idée d’inviter des clowns qui avaient pour mandat d’interrompre quand ils le voulaient les orateurs en train de débattre. Surgissait alors, dans cet espace de réflexion collective, un souffle rafraichissant, une sensation de légèreté qui nous reliait les uns aux autres par le rire et propulsait les propos des orateurs vers une sorte d’optimisme fort bien venu.
Comme chargé d’enseignement à la HETS de Genève (formation des travailleurs sociaux), j’ai, depuis deux ans, noué une fructueuse relation avec un artiste plasticien, Paul Jenni. Dans l’organisation d’un module consacré à la compréhension et la pratique du partenariat au sein d’une équipe de professionnels ou entre plusieurs institutions d’un même quartier, nous avons introduit une séquence créative en trois étapes. Les 22 étudiants du groupe sont placés dans la situation d’imaginer l’aménagement d’une place publique au coeur de la ville, où chaque habitant, quel que soit son âge, son statut, son origine ou ses centres d’intérêt, puisse trouver sa place et nouer des liens avec les autres. Chaque étudiant a devant lui un volume de terre glaise et quelques instruments pour imaginer, en les façonnant avec ses mains, les infrastructures, puis les personnages qui vont constituer cette place puis s’y installer. Dans une troisième étape, l’animateur propose aux créateurs des personnages de les faire parler dans un dialogue imaginaire. L’exercice complet dure trois fois une heure et demie, la journée étant coupée par un repas confectionné par les étudiants et pris en commun.
Or que peut-on observer d’un tel processus de formation? D’abord l’incroyable faculté de ces étudiants, non habitués à travailler la terre, à inventer des formes physiques et humaines d’une étonnante originalité et d’une facture très élaborée: rampe de skate, fontaine, ruisseaux, arbre à palabre, temple bouddhique, que viennent progressivement peupler des êtres étranges et joyeux: punks aux chevelures extravagantes, skaters en position de recherche de vitesse, amoureux enlacés sur un banc, musiciens venus d’ailleurs. Dans les conversations imaginaires, les âges se confondent, l’intimité dialogue avec l’universel, la tolérance ne craint pas l’incise verbale. Dans la salle, l’atmosphère est au rire, à l’étonnement, à la tendresse, à ce sentiment, nouveau disent certains, d’avoir vécu la différence comme complémentarité, l’affirmation de soi sans peur du jugement de l’autre, d’avoir ressenti, dans son corps et son esprit, la solidarité concrète de l’oeuvre commune. Le partenariat est devenu à la fois un concept clair et une empreinte symbolique, ces deux apprentissages servant de référentiel de base pour la suite d’un cours qui s’étale sur un mois, deux jours par semaine.
Et la femme enceinte dans cette aventure? Elle fut cette année, qui sait pourquoi, le personnage emblématique de la place publique imaginée par les étudiants. J’y ai vu, quant à moi, le signe que le monde politique de demain sera la création des femmes et aura l’audace de devenir un monde fertile pour tous et pour chacun.