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Centième anniversaire 2005 °
De 1980 à 2005 - Une foi inébranlable
Auteur : Rémy Cosandey

Quatre pages seulement à disposition pour résumer les 25 dernières années de l’Essor: une tâche difficile mais exaltante. Difficile parce que l’histoire de l’Essor pendant ces 300 mois est riche en joies et en espoirs et qu’il est injuste de la réduire à quelques faits marquants. Exaltante parce que cette histoire laissera des traces indélébiles constituées par des souvenirs personnels, des valeurs partagées et surtout par une foi inébranlable en l’avenir de l’Essor.

Un grand merci tout d’abord à Fritz Tüller, véritable cheville ouvrière du journal (quoi de plus normal pour un ancien permanent syndical!), dont les archives et la mémoire ont harmonieusement complété les recherches du soussigné.

En relisant les procès-verbaux des séances du comité rédactionnel et en analysant les quelque 200 numéros de l’Essor publiés entre 1980 et 2005, on est étonné de constater que le problème de la pérennité du journal constitue une préoccupation constante. Les mêmes discussions reviennent presque chaque année. Seuls les chiffres changent: va-t-on terminer en beauté à l’occasion du 80e, du 90e ou du 100e anniversaire de l’Essor? Un éditorial de septembre 1995 est éloquent: «L’Essor doit-il disparaître? Est-ce sa mort qui s’annonce ainsi pour la fin de l’année? Nous l’avons sérieusement envisagé, faute de trouver des forces jeunes et nouvelles pour nous succéder. Nous nous disions même que l’Essor achèverait sa course, à la veille de ses 90 ans». Deux mois plus tard, la question était posée encore plus clairement: «L’Essor a-t-il un avenir?».

En août 1998, l’optimisme revient: «Dans sept ans, nous fêterons ensemble nos cent ans. Puissions-nous d’ici là rester des messagers de paix et des artisans de réconciliation». En décembre 2001, Agnès Zawodnik et Alain Simonin esquissent l’avenir: «Nous devons redégager les lignes de force et les valeurs qui ont donné son esprit au bâtiment, mieux dessiner notre ligne rédactionnelle, argumenter davantage le point de vue de ceux qui croient au rapprochement entre les hommes et les peuples au-delà des injustices».

Qu’ils soient au paradis des pacifistes ou encore sur terre, les membres du comité de rédaction de 1980

nous manquent. Citons-les pour les honorer: Eric Descoeudres, Gisèle Balleys, Max-Henri Béguin, René Bovard, André Chédel, Luc Francey, Robert Junod, Marguerite Loutan, l’abbé Clovis Lugon, Ariane Schmitt, Myreille Schnorf, Béatrice et Jean-Claude Zumwald. Au cours des années suivantes, de nombreux rédacteurs ont pris la relève. Au risque d’en oublier quelques-uns, tentons un exercice de mémoire: Edouard Dommen, Marco Flaks, Pierrette Junod, Suzanne Gerber, Michèle Joz-Roland, Fritz Tüller, Rémy Cosandey, Yvette Humbert Fink, Jeanlouis Cornuz, Mousse Boulanger, Alain Simonin, Hervé Gullotti, Agnès Zawodnik, Edith Samba, Patrick Boudet, Pierre Lehmann, Emilie Salamin-Amar, Delia Mamon.

Certains sont fidèles depuis vingt ans, quelques-uns sont venus rejoindre l’Essor récemment, d’autres n’ont fait qu’une brève apparition, tel Bernard Walter dont on regrette les coups de gueule en forme

d’indignation. Un exemple: «Je rêve d’un monde où les journalistes diraient la vérité. Je suis convaincu qu’il n’y a rien à espérer du système social qui nous régit, lequel est totalement gouverné par une économie dont le seul moteur est le profit» (mars 2003).

Pour diriger une équipe, il faut un responsable. Que de soucis pour le trouver! Mais, à chaque départ, au moment où l’avenir de l’Essor était remis en question, une arrivée miraculeuse a toujours permis de ranimer la flamme: ce fut Ariane Schmitt en 1985, puis Jeanlouis Cornuz en 1995 et enfin Alain Simonin en 1998. Et il est déjà certain aujourd’hui que la lignée ne va pas s’éteindre.

Si l’Essor a connu bien des mutations au niveau de son équipe rédactionnelle, il a aussi dû résoudre beaucoup de problèmes sur le double plan administratif et financier. La lente érosion du tirage du journal et l’augmentation des tarifs postaux ont contraint les responsables à augmenter le prix de l’abonnement annuel (lequel a passé en quelques étapes de 20 à 36 francs) et à diminuer le nombre des numéros, qui a été progressivement ramené de 12 à 6 par année. Aujourd’hui, chaque numéro offre 8 à 16 pages selon l’importance du thème principal. Mais au moins 64 pages par années sont garanties.

Grâce à la générosité de nombreux abonnés, les finances de l’Essor ont toujours été saines. Il convient de préciser que cette bonne santé est due en grande partie au dévouement des deux principaux responsables de son administration, Luc Francey et Fritz Tüller. Ils étaient réfractaires à l’armée, mais pas aux longs mandats!

Depuis 1980, l’Essor a également connu quelques soucis au niveau de son impression. Il a été successivement édité par la Coopérative Cric-Print à Fribourg, les Impressions 2001 à La Chaux-de-Fonds, les Impressions Glauser au Locle et la Société coopérative du Journal de Sainte-Croix. Le contrat de confiance avec cette dernière imprimerie remonte à novembre 1996. Un grand merci à son responsable, Jean-Claude Piguet, toujours à l’écoute des désirs du comité rédactionnel.

Au fil des années, le graphisme a évolué, la mise en page s’est modifiée. Un premier changement d’habits est intervenu en 1986 (adoption du bleu en première page, format réduit, apparition de quelques photos). Soucieux d’atteindre un nouveau lectorat, l’Essor a une nouvelle fois rajeuni son look en septembre 2000 (voir éditorial en page 18). Son logo, tout en conservant la couleur bleue, s’est allégé et des colombes de la paix sont venues égayer les pages impaires du journal.

Mais venons-en maintenant à l’essentiel: le contenu de l’Essor. Ce qui étonne et rassure tout d’abord, c’est la fidélité aux amis décédés. Au fil des années, des hommages sont rendus à Edmond Privat, Eric Descoeudres, Luc Francey, l’abbé Clovis Lugon, Robert Junod (voir texte en page 12) et René Bovard. En août 1993, Jeanlouis Cornuz disait de cet ami: «A 45 ans, cet officier avait compris qu’il y avait un temps pour défendre son pays les armes à la main et un autre pour le défendre en luttant pour l’entente entre les peuples, pour la paix». Des témoignages de reconnaissance sont aussi adressés à des personnalités admirées, par exemple Andreï Sakharov, Mère Sofia, le professeur Philippe Bois et l’abbé Pierre.

Autre constatation réjouissante: les rédacteurs de l’Essor n’ont jamais dissimulé la force de leurs convictions. Quel plaisir de relire Robert Junod (janvier 1990) quand il se fait le vigoureux avocat d’un gouvernement mondial! Quelle délectation de méditer les propos de Jean Rossel (septembre 1990) quand il explique pourquoi il faut abandonner le nucléaire! Quel privilège de s’arrêter sur les phrases de plusieurs personnalités (André Bieler, professeur de théologie; André Brandt, conseiller d’Etat neuchâtelois; Monique Bauer-Lagier, conseillère aux Etats; Jean-Jacques Beljean, président du Conseil synodal neuchâtelois) qui témoignent de ce qu’est pour eux la solidarité (avril 1994)!

Les plaidoyers sont vigoureux, que ce soit en faveur de l’Europe (Ariane Schmitt parle d’un dimanche de deuil à propos du refus de l’EEE lors de la votation du 6 décembre 1992) ou pour la loi contre le racisme. L’Essor n’hésite pas à recommander d’accepter l’initiative «Pour l’interdiction d’exporter du matériel de guerre» (mai 1997).

Une grosse ombre au tableau: le conflit entre Israël et la Palestine divise le comité rédactionnel. Bien sûr, chacun souhaite la paix et la justice. Mais les avis divergent quant aux responsabilités des uns et des autres. Certaines séances sont même houleuses. Heureusement, l’esprit de tolérance est plus développé sur les rives du lac de Neuchâtel (le comité de l’Essor se tient à Yverdon-les-Bains) que sur celles du Jourdain!

Des plumes connues s’expriment parfois longuement dans l’Essor. Le conseiller d’Etat neuchâtelois Pierre Dubois, fidèle abonné, publie un texte exclusif intitulé «Travail, chômage et solidarité». Beat Kappeler, alors secrétaire de l’Union syndicale suisse, cloue au pilori les conservateurs et les chefs d’entreprises (septembre 1992). Au passage, il se fait l’ardent défenseur des services publics et des protections légales et syndicales des travailleurs. Dommage qu’il se soit par la suite converti aux thèses du néolibéralisme!

Les années passent mais l’Essor reste fidèle aux thèmes qui font sa vocation et que rappelle Jeanlouis Cornuz en novembre 1996: les problèmes de la paix, de la non-violence, de la tolérance; les problèmes sociaux; les problèmes éthiques. Outre les articles de fond, les éditoriaux et les citations à l’ordre du jour, l’Essor propose différentes chroniques plus ou moins régulières: «Positif» transformé ensuite en «Bonnes nouvelles», «Libre opinion», «Notes de lectures», «L’autre Suisse», «L’œil ouvert» «Us et coutumes des mangeurs de bonbons» et «Homo oeconomicus». Il s’enrichit également des chroniques de plusieurs amis, tels Claude Cantini et Henri Jacottet. Un sympathique bout de route a été fait avec le Mouvement de Beaulieu qui a publié pendant quelques années un billet éco-spirituel plein d’espérance. La rubrique «Courrier des lecteurs», elle, a tendance à se rétrécir!

Depuis décembre 1998 apparaissent des dossiers. Le premier s’inspire d’un propos d’Elsa Triolet: «Quel est cet étranger qui n’est pas d’ici?». Suivent plusieurs thèmes aussi différents que passionnants. Limitons-nous à en citer quelques-uns. Faut-il célébrer les identités? – Retour d’exil – L’émergence de nouvelles solidarités – Peurs et espoirs pour l’an 2000 (commentaires des rédacteurs sur des phrases tirées du Roi Lear de Shakespeare) – Vivre autrement – Tabou! – Devoir de révolte – Peuples menacés – Jeunes à découvert – A quoi servent les diplômes? – A l’Est, que voit-on venir? – La Suisse et l’ONU – Terrorisme et guerre juste.

En juillet 2002, soucieux de devenir davantage interactif, l’Essor remplace les dossiers par des forums, qui permettent de mieux s’ouvrir sur l’extérieur. Tout commence par une interrogation: et si la poésie n’existait plus? En juillet 2002, la Suisse prend l’eau… Le soussigné rappelle que, derrière la richesse et la beauté, se cachent des espaces d’ombres: le populisme, la xénophobie, les sans-papiers refoulés, le service public sacrifié sur l’autel du profit. Un abonné, Jean-Claude Jeanneret, affirme sa conviction: «Il faut renforcer les bases et les fondements éthiques de notre société, notamment dans le cadre de l’école, afin que les plus jeunes puisse se réapproprier les valeurs en voie de disparition que sont le respect, la solidarité et le partage». Par la suite, les sujets les plus variés sont traités. Quelques exemples. Non-violence aujourd’hui: faut-il frapper un grand coup? – La philanthropie aujourd’hui: service après-vente des injustices? – Dictature de la beauté – Actions citoyennes – Décroissance – Quelle politique pour quelle Suisse? (avec des textes de Jean-Bernard Vuillème, Louis-Albert Zbinden et Albert Longchamp) – Une autre économie est possible! – Quelle santé et à quel prix? – Guerre et reconstruction – Réorienter la recherche?

Au chapitre des regrets, on peut signaler la disparition des rencontres de l’Essor avec ses lecteurs, la dernière ayant eu lieu en 1994. Regrets avivés par l’actualité des sujets (la défense armée face à l’évolution planétaire, rompre la dynamique de la misère, la Suisse en fait-elle trop pour les réfugiés?) et l’intérêt suscité par des conférenciers aussi captivants que Gabrielle Nanchen, Gil Ducommun, Pierre Pradervand, Yves Brutsch et Thomas Facchinetti.

En conclusion, on peut souligner que les 25 dernières années de l’Essor ne peuvent pas être comparées à un long fleuve tranquille. Il y eut parfois des flots agités mais ils n’ont jamais réussi à emporter les idéaux (et aussi les utopies) profondément enracinés des rédacteurs du journal. Aujourd’hui, nous sommes partagés entre deux réalités antagonistes: d’une part, notre esprit de tolérance, source de positions souvent trop consensuelles; d’autre part, notre volonté de rester fidèles à nos convictions et de suivre une ligne rédactionnelle plus critique à l’égard des absurdités du monde et de ceux qui le dirigent. Demain, il en sera de même. C’est pourquoi l’Essor restera toujours un instrument - indépendant de toute chapelle et de tout parti - au service de la réflexion et de la fraternité entre les êtres humains.

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