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Dans les sociétés traditionnelles noires africaines, le vieillissement se voit d’abord comme une suite d’acquisitions et d’approfondissements, de maturité et d’expériences, permettant d’administrer avec sagesse les intérêts de la communauté. Au travers de principes qui sous-tendent l’organisation du groupe, s’attachant à codifier avec précision les processus du vieillissement, se construit ainsi une place respectée, incarnant la sagesse, la maîtrise de soi, l’éloignements des passions. Les vieux deviennent conseillers, médiateurs, arbitres, pacificateur, garants de la tradition. L’homme âgé «troque la lance du guerrier pour le bâton de commandement», rend la justice, devient un homme paisible, débarrassé de sa fonction guerrière et sa recherche de vaine gloire. La femme âgée, «privée de dents» mais «remplie d’intelligence», délivrée des contraintes de la maternité, est souvent admise dans le circuit masculin, dans les affaires de la tribu. Il a été observé, peut-être pour cette raison, un taux de sénilité beaucoup plus faible en Afrique qu’en Europe…
Le vieillard africain ne doit pas craindre la mort, ou en tout cas ne pas se laisser surprendre par elle. Ainsi prépare-t-il tout le nécessaire pour son départ, les linceuls, les biens qui seront soit consommés, soit détruits le jour de ses funérailles. Il arrive parfois que, rassasié de toutes ses années, se sentant inutile, il souhaite retrouver ses ancêtres pour se régénérer à leur contact. Aussi il demandera alors qu’on le mette à mort, pour pouvoir se réincarner dans le ventre d’une femme de son lignage: on appelle cela le «suicide mystique de régénération».
Tous ces modes de fonctionnements s’appliquent essentiellement en milieu rural traditionnel, avec ses croyances religieuses animistes, pas encore étouffées par le christianisme ou l’islam. Il n’empêche que bien des éléments de ces valeurs perdurent et accompagnent ceux qui migrent vers les villes, les banlieues, et à travers le monde. La concentration et le mélange de cultures dans les grands centres urbains a mis à mal la pratique des origines, mais reste prégnante dans les esprits. Aussi la manière de traiter les anciens en Occident provoque rejet et consternation en Afrique.
Il est à noter que l’auteur ivoirien Gauz, avec son franc-parler habituel, déclare «qu’il n’y a plus de vieux à tuer sur le continent africain». En effet, l’Europe compte 20% de sa population de plus de 65 ans alors qu’en Afrique, seul un modeste 3% a passé cet âge. Cela veut dire que la pandémie de coronavirus n’a pas du tout la même portée sur les deux continents et pose un vrai défi civilisationnel: l’incurie de ses hommes politiques, l’avidité des places financières, la spoliation des ressources naturelles, la malhonnêteté des plans d’ajustements dits structurels ont largement participé à la réduction du nombre de personnes âgées.
A leur égard, les politiques africaines en sont à leurs balbutiements. Seuls certains fonctionnaires bénéficient d’une retraite, minuscule au demeurant, et allant en diminuant au fil du temps. De par la polygamie, beaucoup d’hommes âgés ont encore une épouse pour s’occuper d’eux, alors que les femmes âgées, plus fréquemment veuves, sont plus souvent accueillies par un de leurs enfants. Elles sont aussi plus vulnérables car en général moins instruites. Cette vulnérabilité s’aggrave si elles n’ont plus d’enfants auprès d’elles. Aussi, suite à une forte migration et des épidémies, elles se retrouvent souvent à se voir confier des petits-enfants ou des orphelins.
Aujourd’hui, la plupart des Etats africains sont plus accaparés par les frais de scolarisation des vagues successives d’enfants, d’adolescents et jeunes adultes arrivant sur le marché du travail, que par la problématique grandissante des personnes âgées. Aussi, globalement et malgré la grande diversité des organisations nationales, rurales ou urbaines, le pouvoir des aînés s’effrite, leur paupérisation va en s’accélérant et les inégalités sociales tout au long de la vie se cristallisent à l’âge de la vieillesse.