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Eh oui, le monde change. C’est une évidence. Mais change-t-il vraiment? Ne serait-ce pas plutôt qu’il ne change pas? Ou plutôt, pas assez? La technologie et le confort ont fait de nous, homo occidentalis, des marionnettes mues par les fils de la consommation. Nous ne sommes plus que des «ressources» dont il s’agit d’extraire la substantifique moelle, des pantins un peu désarticulés, centrés sur nos propres carences et notre seul bien-être. Nous sommes devenus sourds aux complaintes de nos frères plongés dans les souffrances infligées par de soi-disant politiques ou idéologies, qui ne font que cacher la plus sordide des réalités: le profit à n’importe quel prix.
Selon certains sociologues, nous sommes encore à l’aube de notre humanité et toujours au degré zéro, (à quelques notables exceptions près) d’un réel humanisme. Ce qui fait de nous des humains n’est pas cette folle course à la «compétitivité» mais bien au contraire une farouche défense de ce que nous nommions jadis nos humanités.
Notre époque souffre – entre autres fléaux – d’un vaste et général détournement de sens. A commencer par le sens commun. Détournements de sens de la parole politique qui n’hésite plus à froidement et volontairement mentir, la parole commerciale où foisonnent les mensonges quotidiens, le bruit médiatique sciemment organisé pour défaire les consciences citoyennes. Ajoutons-y quelques mensonges judiciaires et nous avons là la quintessence de notre brillante société devenue si perdue dans le cosmos temporel qu’elle en oublie jusqu’à la terre elle-même.
Dès lors, pourquoi s’étonner du déclin de notre société? Je serai peut-être à contre-courant en affirmant que le monde ne change pas assez vite. A vrai dire nous ne savons pas trier le bon grain de l’ivraie. Nous ne savons pas conserver ce qui fonctionnait plutôt bien et remplacer ce qui ne va pas. Pire, chacun SAIT que nous courrons à la catastrophe, mais bien peu s’en inquiètent. Ne prenons que l’exemple des partis dits populistes qui hurlent au déni de démocratie qu’ils n’hésitent pourtant pas à détruire. S’ils appellent au respect du peuple c’est qu’ils savent comment l’acheter. Pendant que ce qui reste d’honnêtes politiciens en appellent à la raison, le populisme achète journaux, médias et campagnes mensongères. Dès lors le peuple se trompe car il est trompé. Après tout, l’histoire montre que les tyrans de la pire espèce ont été «démocratiquement» élus; il suffit pour cela de dire au «peuple» ce qu’il a envie d’entendre au lieu de lui dire la vérité. Tout le monde le sait, mais personne n’en tient compte.
La régression est généralisée; partout s’installe une idéologie dominante et envahissante qui n’a que l’égoïsme en guise de programme et que le pognon en guise de morale. Partout, dans notre bel Occident, y compris en Suisse, l’extrême droite refait surface. Le prétexte de l’étranger qui vient profiter de nos avantages sociaux a bon dos. On en profite pour cacher sous le vilain tapis xénophobe le démantèlement programmé de l’Etat social et les désormais faciles privatisations des bénéfices et étatisations des déficits. Déficits que l’on s’empresse de réduire à peau de chagrin au prétexte qu’il faut mettre un frein à l’endettement. En fait, la droite néo-libérale (autre abus de langage, ni neuve et pas vraiment libérale), pense que les pauvres ne sont que des fainéants. Ils n’ont pas «réussi» et sont donc coupables. Dès lors ils n’ont pas droit aux prestations sociales que leurs situations ont pourtant inspirées. Ils ne les méritent pas.
Et ça n’est pas plus brillant du côté de nos consciences. De Budapest à Alep, en passant par Prague, Kaboul, Sarajevo, Beyrouth ou Kigali, l’Occident n’a été qu’impuissance généralisée. La lâcheté occidentale bat tous les records en la matière. L’abandon insoutenable du Tibet au profit du miroir magique du marché chinois. Le soutien inconditionnel de démocraties autoproclamées exemplaires à l’apartheid sud-africain avant Mandela. Les monumentales et irréparables erreurs américaines, coupables et mensongères interventions occidentales, dont le seul objectif s’appelle «pétrole». Néo-colonialisme déguisé sous une prétendue défense des droits de l’homme. Pendant combien de temps encore allons-nous fouler aux pieds notre dignité humaine?
Pourquoi n’exige-t-on pas de nos dirigeants qu’ils aillent se promener dans les villes massacrées, bombardées et vidées de leurs habitants au lieu d’aller faire des voyages d’affaire en Chine? Ah oui, pour le business on se déplace, on y va. On signe des protocoles commerciaux, on conclut des accords bancaires, on facilite l’implantation d’usines, créant du même coup le chômage dans nos pays, on «vend» nos bijoux de familles et même nos clubs de football à coup de millions sans le moindre effet sur nos dépenses solidaires, mais pour s’opposer aux exactions, il n’y a plus personne. Qui peut, aujourd’hui, expliquer pourquoi on se bat dans Alep? Et que l’on ne vienne pas me dire qu’il s’agit de combattre l’EI. Les exigences de la géopolitique sont 1000 fois plus considérées que la dignité et l’honneur, le commerce est un million de fois plus estimable que la vie des enfants d’Alep ou de Sarajevo. Un puits quelconque de pétrole est 100 fois plus précieux que le pont de Mostar.
Que comprendre de ce comportement qui est tout sauf logique? Comment maintenir une société sous l’emprise de telles contradictions? Comment croire un seul instant à un avenir meilleur avec de pareilles épées de Damoclès sur la tête? Même les pays traditionnellement progressistes comme les pays scandinaves, les Pays-Bas voient la peste noire renaître et se ragaillardir au fil de la migration. J’en oublie et des moins bons. Last but not least, aux Etats-Unis où l’on aura, si le milliardaire qui ne paie pas ses impôts est confirmé dans sa présidentielle fonction, des ministres créationnistes. C’est le bouquet. La crétinerie surpasse tout. A ce propos, à un ministre proposant d’éradiquer la bêtise, De Gaulle répondit, songeur: «Vaste programme».
Notre Occident se condamne lui même à force de manquer d’intelligence. Depuis le siècle des lumières, que, sans doute, nous idéalisons un peu, a-t-on réellement progressé? Oui, ça et là il y a des mieux. Il faut le reconnaître. Mais qu’en fait-on? Les encyclopédistes du 18e pariaient sur l’éducation des masses, Marx tout comme Clémenceau aussi. Pourtant, depuis lors, nous nous sommes offerts deux guerres mondiales avant de passer sous le joug de la consommation sans autre but que de nous «éclater» littéralement dans des automobiles trop puissantes, dans des achats, qui loin de nous libérer, nous enferment au contraire dans une spirale sans fin de crédits et d’obligations insupportables.
Soyons clairs, qui veut encore de cet Occident qui fait tout et son contraire? Ne nous y trompons pas, il ne reste guère que la «droite» qui en cultive les gloires massacrantes à l’exemple des courants révisionnistes et/ou polémistes. L’extrême droite qui «libère» sa parole encore plus révisionniste qui attend avec une gourmandise le clash final, une belle explosion de haines qui lui permettra de s’emparer du pouvoir, pendant que les pragmatiques de la finance s’en mettront plein les poches. Tous ceux-là, évidemment, ne veulent pas que ça change.
La révolte gronde, mais pas encore suffisamment pour inquiéter le bourgeois confit dans sa bagnole aux hormones, sa Rolex au poignet et son cul sur le siège éjectable que lui prête l’entreprise de destruction massive de ressources terrestres dans laquelle il s’épuise à gagner son «burn out» bien à lui.
Debout les gens! Arrêtons là le massacre, grandissons un peu et cessons de jouer les enfants gâtés. Devenir conscient est bien plus sexy que de se faire exploiter pour le bénéfice de quelques nantis, ces marquis poudrés qui ne font qu’exploiter les failles du système à leurs seuls profits.
Les grandes multinationales, fiertés de notre florissante économie font de «l’optimisation fiscale» pendant que la classe dite moyenne se fait tondre la laine sur le dos. Les pauvres, quant à eux, ne sont que de vils profiteurs et surtout des empêcheurs d’encaisser encore plus de pognon, tout cet argent qu’on leur distribue à ces salauds de pauvres, il serait quand même bien mieux utilisé si on pouvait mettre la main dessus, non? Qu’est-ce qui ne va pas? Que ne comprend-on pas dans le mot solidarité? Je croyais, naïvement, que la devise nationale de notre pays «Unus pro omnibus, omnes pro uno» n’était pas une phrase creuse.
Nous avons un cerveau formidable, mais nous lui avons collé des œillères, nous filtrons et ne voulons «voir» qu’avec nos lunettes, en oubliant, assez stupidement d’ailleurs, que les lunettes ne sont pas les mêmes partout. Très souvent nous refusons de voir les choses telles qu’elles sont et préférons faire un petit arrangement avec notre conscience qui nous autorise dès lors à percevoir une réalité plus conforme à la prévision qu’à la réalité.
Pour changer tout ça, il faudrait revoir notre système éducatif, et ça commencerait par un petit retour en arrière, histoire de renouer les générations les unes aux autres au lieu de rendre incompréhensible aux parents les mathématiques et l’orthographe. Nous n’avons pas compris que la base de toute civilisation, c’est la transmission, d’une génération à l’autre, d’un individu à un autre. C’est nécessaire pour que les savoirs s’additionnent au lieu de s’exclure.
Le monde que nous nous sommes construit démontre, jour après jour, que nous sommes incapables de cette simple opération arithmétique qu’est une addition. Notre monde s’écroule parce que nous n’avons pas osé l’altérité, parce que nous n’avons pas su distinguer, obnubilés que nous sommes par le confort, les nécessités du corps et celles de l’esprit.
Que vienne l’avènement d’une véritable société humaine, respectueuse d’elle même d’abord (ce qui suffirait à régler 90% de nos problèmes), des autres ensuite. En somme, un Occident aimable et sociable. Les tenants de la xénophobie masquée n’ont pas encore compris que même désagréable comme ils le souhaitent, il (l’Occident) attire malgré tout toutes les migrations. Oui, je sais, c’est utopique, mais les utopies d’aujourd’hui sont les réalités de demain.
Selon certains observateurs, nous employons bien mal notre cerveau. Et si on utilisait un peu mieux cette énergie, gratuite, renouvelable (encore faut-il l’entretenir) et non polluante si utilisée avec… intelligence!