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Dans les années 70, j’ai été content d’acheter mon premier album de Pink Floyd et plus tard ma première voiture. Il y avait là non seulement un simple achat, mais tout un symbole. La publicité étant passée par là, l’automobile incarnait alors une certaine idée de la liberté.
Est-ce toujours le cas? Pour certains jeunes des régions périphériques, peut-être. Mais les jeunes des grandes villes, branchés (dans les deux sens du terme), ont changé. Rêvent-ils encore de s’acheter une VW-Golf, ou sont-ils plutôt intéressés par le dernier modèle de téléphone «intelligent» de leur choix? Quel est aujourd’hui leur sentiment face à la voiture?
À priori, en ces temps de crises économiques et de réchauffement climatique, posséder sa propre voiture a perdu pour eux une grande partie de son attrait, voire de sa symbolique. Les jeunes ont toujours besoin de mobilité, certes, mais pas pour autant de possession. À eux qui ont grandi à l’ère du ‘shareware’, du ‘freeware’ et autres modèles en «ouère», il leur semble tout à fait naturel de rouler dans une voiture connectée, qu’ils réservent pour une heure ou une journée, et qu’ils laissent ensuite à l’usage de quelqu’un d’autre. C’est déjà le mode de vie de milliers de personnes en Suisse, qui prennent régulièrement les transports en commun et ont recours à des services de partage de véhicules dont la coopérative Mobility est la principale incarnation dans notre pays, depuis vingt ans.
Ces jeunes-là ne louent pas de place de parc, ne s’emm… pas avec les questions d’entretien mécanique. Ils considèrent comme normal de pouvoir changer de véhicule selon les occasions. Réserver une décapotable pour inviter une copine à aller faire un tour au bord du lac… puis un autre jour réserver un van utilitaire pour déménager ses affaires vers une résidence étudiante, à l’EPFL ou ailleurs! Évidemment, ils font ces réservations du bout du doigt sur leur smartphone.
Notre génération ne se rend pas encore compte de l’ampleur du changement. Dans les grandes villes d’Amérique du Nord, des milliers de petits véhicules à deux places baptisés Car2Go sont disponibles n’importe où dans la ville, là où les utilisateurs précédents les ont parqués. Un doigt sur le smartphone: le véhicule le plus proche apparaît sur un plan. Il est au coin de la rue… vous voulez partir avec? Une simple confirmation et le véhicule est à vous… façon de parler! Pas besoin de le ramener à son point de départ, ni même de prévoir la durée de la réservation.
En Suisse, un service équivalent est disponible à Bâle et bientôt à Genève, sous le nom Catch-a-car. Les systèmes dit ‘station-based’ comme Mobility sont maintenant mis au défi par ces nouvelles flottes de véhicules fonctionnant en ‘free-floating’. Chaque nouveauté surclasse la précédente. Pour qui possède déjà sa voiture, on voit même apparaître des réseaux de location entre privés, comme Sharoo, grâce auxquels on peut offrir en location son propre véhicule durant des plages de temps données. Pour ce partage en ‘peer-to-peer’, là encore, c’est avec son smartphone que l’utilisateur déverrouille et met en marche votre voiture.
Une déferlante de termes anglophones désigne ces nouvelles pratiques. En langage châtié, on les qualifiera peut-être de révolutionnaires… Les jeunes vous diront qu’elles sont simplement ‘disruptive’, en ce sens qu’elles rompent radicalement avec le paradigme du siècle passé (où ils relèguent évidemment nos années 70) mais qu’il ne faut pas y chercher des envies de révolution. Au contraire, les jeunes sont pour le moment très contents de leur «branchitude». Les effets potentiellement néfastes à la 1984 d’Orwell qu’implique ce nouveau monde branché sont plutôt rejetés d’un haussement d’épaule. Qu’importe le flacon…
Mais ne dessinons pas le diable sur la muraille. Ces jeunes-là marchent encore avec leur pieds. Souvent plus que leurs parents. Ils roulent plus en bus et en train et moins en voiture. En un mot, ils sont plus libres que nous ne l’étions, avec notre voiture icône de liberté. Globalement, en usant de voitures économes et souvent électriques, ils produisent moins de CO2 que nous. Et contrairement à nous, ils sont conscients de l’énergie grise qu’implique la fabrication de la voiture elle-même, raison pour laquelle ils préfèrent être plusieurs dizaines d’utilisateurs à se servir partiellement du même véhicule. Quant à diminuer les voyages qui ne sont pas indispensables, c’est sûr que la génération smartphone est plus que nous adepte de télétravail et de visio-téléphonie style Skype. Certes, l’informatique omniprésente est elle aussi gloutonne en énergie mais le bilan reste à faire; les critiques ne prennent pas en compte les arbres avec lesquels on fabriquait les milliers d’indicateurs des horaires de train et autres annuaires téléphoniques…
Mais revenons-en à l’automobile. Jusqu’ici, nous avons parlé de ce qui existe et fonctionne déjà bien en divers points du monde. Les vraies nouveautés, ce sont les automobiles qui se conduisent toutes seules, dans le trafic, sans même toucher le volant. Science fiction? Même pas. En Californie, elles transportent déjà des passagers sur la voie publique.
Bref, le monde change; l’automobile et ses usages aussi. On peut rejeter ce nouveau monde en bloc, ou à tout le moins s’en inquiéter, à juste titre… mais nos enfants et nos petits-enfants y vivent déjà, un peu plus chaque jour.