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Octobre 2016
Quel avenir pour… notre Avenir ?
Auteur : François Iselin

Nous sommes pressés parce que nous n'avons pas le temps et, paradoxalement, nous n'avons pas le temps parce que nous voyageons en voiture. – Alberto Moravia

Si seulement cette question était posée plus souvent! Surtout lorsque de nouveaux produits que l'on croyait salutaires recèlent, dès leur usage, des défauts les rendant impropres à la consommation. S'est-on demandé à temps quel avenir auraient le tabac, l'amiante, l'uranium, le pétrole ou le plomb? Le plomb par exemple, dont les Romains étamaient leur vaisselle et canalisaient leur eau «potable», causa la chute de leur empire. Pourtant, le plomb ingéré qui fut taxé de violent poison deux siècles avant notre ère intoxique encore des enfants qui sucent les écailles sucrées des peintures à la céruse1.

Ces risques toxicologiques et cancérigènes étaient connus de longue date. Cependant, la cupidité des marchands de ces produits a différé sans cesse leur abandon sous prétexte qu'ils étaient… appréciés des consommateurs. Or, il aura fallu des décennies pour juguler le marché du benzène, du tabac, de l'amiante… alors qu'entre temps leurs consommateurs s'intoxiquent et en meurent.

Le principe de précaution, le respect de la santé publique et la protection de la nature sont systématiquement bafoués au nom de la productivité, de la croissance et de l'économie, comme si l'Economie, cette «gestion de la maison», concernait moins ceux et celles qui l'habitent que l'entrepreneur qui l'a bâtie.

En ce qui concerne les promoteurs de la maudite «bagnole», il en est de même puisque ses ravages atteignent aujourd'hui des proportions alarmantes. C'est qu'en un siècle le productivisme capitaliste a multiplié son négoce de produit à haut risque tant pour la santé humaine que celle de l'environnement. Il a fait proliférer ces bombes à retardement que les Etats rechignent à désamorcer à temps: arsenal nucléaire, montagnes de déchets radioactifs, chimiques et bactériologiques. Mais la spécificité de l'acharnement productiviste étant d'enrichir les «pollueurs-tueurs», ceux-ci persistent à mettre la vie d'autrui en danger, quitte à épuiser les dernières ressources de la terre et à dérégler le climat pour ainsi poursuivre le plus longtemps possible leur sale business.

Le bilan désastreux du marché des bagnoles qui submergent villes et campagnes est vite tiré. Au cours de la dernière année en Suisse2:

A cela s'ajoutent les nuisances sonores, le temps perdu au volant, les bouchons à répétition, l'accumulation d'épaves, de pneus, d'huiles de vidange, de batteries usagées dont on ne sait plus que faire, sans oublier les polluants dispersés dans l'atmosphère et les égouts.

À qui profite la mobilité forcée ?

Aux déplacements individuels certes, mais pourquoi devons-nous rouler autant? Pourquoi sommes-nous contraints de devenir des conducteurs stressés, perdant des heures d'un temps précieux, cherchant en vain des places où stationner ou les payant fort cher tout comme l'essence et tout ce qui va avec? Cela sert avant tout à enrichir pilleurs de pétrole, raffineurs, vendeurs de voitures, entrepreneurs de génie civil, garagistes, assureurs et les banquiers qui créditent de quoi se payer un nouveau modèle à remplacer de plus en plus fréquemment.

Ainsi, business as usual, les fous du volant, les nostalgiques des concerts de klaxons et les fadas de 4x4, auront encore longtemps des Salons de l'auto et des pubs machistes pleins les rues et dans la presse pour s'en mettre plein les yeux et soulager leurs fantasmes.

Aux bigots de la Sainte Croissance, on leur promet des voitures «écologiques», sans benzine, mais au nucléaire prétendument sans CO2, «propres», car les déchets de pneus et batteries hautement polluantes seraient dorénavant recyclables et «conviviales» puisque le futur conducteur pourra courtiser le robot intelligent qui le conduira les yeux fermés à destination. Un marché prometteur, y compris pour les installateurs de bornes de rechargement des batteries, car en France, il en faudra sept millions à 20'000 euros pièce pour les deux millions de ces petites merveilles électrifiées qui devraient rouler en 20203.

Pour promouvoir ces autos de la «transition énergétique», il faudra que les Etats assèchent les pompes à essence ringardes et taxent la démolition des anciennes voitures «polluantes». Lino Guzzella, professeur EPFZ, s'exaspère: «C'est la pire chose que l'on puisse faire du point de vue environnemental. Le tout électrique produira des quantités énormes de CO2.» Et si le «savanturier» Bertrand Piccard promeut des autos genre «Solar Impulse», qu'il sache qu'il faudrait 40m2 de capteurs solaires par engin, à 30'000 francs pièce4… à moins qu'elles soient pourvues d'ailes de l'envergure de son Boeing 747 solaire!

Comment en est-on arrivé là? C'était fort simple: il suffisait de disperser les lieux d'habitation, de production, consommation, formation et de loisirs; boucler un à un les magasins et les services de proximité; remplacer les commerces urbains par de grandes surfaces implantées au diable vauvert et encourager les gens à aller faire leur fitness en ville, leur jogging en forêt, du vélo ou du ski, des ballades en montagne et tout autre «sport de loisir»… ceci en voiture!

Pour assurer notre Avenir, il faudra que l'auto morbide n'en n'ait plus!


1. Wikipédia, Histoire du saturnisme.
2. Office fédéral de la statistique (OFS), 2010-2015.
3. www.observatoire-du-nucleaire.org, 12.9.2014.
4. La voiture électrique est une aberration, Le Temps, 29.4.2014.

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