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Une personne de notre connaissance nous a invités à rédiger quelques lignes dans ce numéro consacré au thème «fracture ville-campagne» car à ses yeux notre installation à la campagne illustre une expérience réussie «d’intégration» à la vie villageoise. En effet, il y a maintenant un peu plus de dix ans, nous avons déménagé d’une ville de la Côte pour venir vivre dans un village de la Broye.
Si les géographes et sociologues constatent une fracture ville-campagne, laquelle est une réalité sociétale indiscutable, tout au moins dans les grands pays (France, Angleterre)1, nous ne l’avons pas ressentie aussi intensément que décrite par ces derniers. Comment expliquer ce décalage entre des faits avérés et notre vécu quotidien?
Premièrement, il faut préciser que notre couple est formé d’un «Rat des villes» et d’une «Souris des champs». Après une période de vie citadine, la Souris des champs allait se retrouver en terrain familier. Quant au Rat des villes, il se réjouissait d’entamer cette étape, ce à plus forte raison que son nouvel environnement présentait quelques sympathiques attraits, dont une auberge de village bien garnie, une boulangerie, une boucherie et autres petits commerces…, sans oublier une ligne de trains lui permettant de retrouver facilement les grandes cités.
Deuxièmement, nous nous sommes sentis particulièrement bien accueillis à la fois par les Autorités et par les habitants dont nous avons rapidement pu constater la gentillesse et la serviabilité. Ainsi le jour suivant notre arrivée, qui était un premier janvier, nous nous sommes trouvés fort dépourvus, à court de mazout. Un coup de téléphone à l’épicier, qui par ailleurs livre aussi du mazout, et nous voilà dépannés le jour même! Autre exemple: dans le courant du printemps, nous avons reçu un courrier de la chorale du village, adressé à tous les nouveaux habitants, les invitant à la rejoindre. Depuis lors, l’un de nous fait partie de cette chorale et l’autre s’investit dans la partie éclairage de ses spectacles et de ceux d’autres sociétés locales. Petit à petit, nous avons participé de manière plus ou moins active à la vie du village et de belles amitiés sont nées.
Bien sûr, malgré notre intégration, nous restons pour certains des urbains exilés, peut-être à plus forte raison que nous avons continué d’aller chaque jour à Lausanne pour notre travail. Mais réciproquement, nous avons parfois observé que nos connaissances citadines se montraient promptes à cultiver des stéréotypes à l’endroit des habitants de la campagne et manifestaient par-là paradoxalement un manque de curiosité et d’ouverture. A leurs yeux, nous étions venus habiter un lieu lointain et reculé. Il nous est même arrivé de penser que les autorités cantonales et les grandes entreprises avaient elles aussi du mal à situer l’endroit sur une carte de géographie, voire même à considérer qu’il puisse exister et qu’il faille y entretenir des infrastructures…
Notre modeste expérience nous amène à nous interroger sur la pertinence qu’il y aurait à transposer à la Suisse les analyses sociologiques et géographiques sans les ajuster à sa situation singulière. Contrairement à la France ou à d’autres grands pays, où la tendance démographique est à l’urbanisation (les campagnes se vident, de même que les petites villes, au profit des grandes), il nous semble que la Suisse – petit pays, dont les «grandes» villes sont géographiquement plus proches les unes des autres – connaît une autre forme de défi, puisque ce sont plutôt les zones interurbaines et les (gros) villages qui grossissent. N’assiste-t-on pas ainsi moins à l’accentuation du clivage ville-campagne qu’à un processus d’uniformisation entre les différentes zones?
Sophie Berthoud