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Le terme de développement, opposé à décroissance, s’entend par «développement de notre système de vie actuel»; développement, c’est faire plus, décroissance, c’est faire moins, pour dire les choses simplement.
Un tournant majeur a été pour moi l’initiative sur la protection génétique en 1998. On avait reproché à l’initiative d’avoir mis dans un même sac la question de l’agriculture et celle de la médecine. Il fallait, disaient certains, se limiter à l’agriculture pour avoir un espoir de gagner. J’étais pour ma part d’avis que l’initiative avait raison de tout mettre ensemble, parce que cela constitue un tout.
En 1998, le système dominant a eu recours à toutes sortes de grosses pointures universitaires et scientifiques pour faire écraser ce vent nouveau s’opposant à la science et au progrès.
Nous de l’initiative étions donc contre le progrès. C’est ce qui se disait. Et l’initiative a été rejetée. Le cap du développement de notre mode de vie avait été conservé.
À l’essor, quelques années plus tard, mes positions étaient généralement perçues comme extrémistes. Alors que je ne faisais que voir un petit peu en avant, ou plutôt voir les évidences que beaucoup ne voulaient pas voir. Ce qui a provoqué mon départ du journal. Depuis, les temps ont quelque peu changé, et on a été bien obligé d’ouvrir les yeux sur l’impossibilité qu’il y a à poursuivre indéfiniment sur le chemin du progrès. Et donc, je suis revenu à l’essor.
«Progrès»: ce mot de «progrès», on ne l’utilise plus beaucoup. «Progrès», c’était le mot magique, le mot qui disait tout, qui mettait un terme à toute discussion. On était pour le progrès ou contre le progrès. Être «contre le progrès», c’était le retour à la bougie.
Aujourd’hui, on n’en appelle plus trop à ce terme qui avant disait tout, et qui maintenant ne dit plus rien. Nous voyons bien que les progrès dans tous les domaines n’en sont pas, qu’ils mènent à des catastrophes. Dans le domaine des armes, on a vu depuis longtemps ce que c’est le progrès, concrètement depuis Hiroshima. Pour la question énergétique, il a fallu un peu plus de temps. Les reportages sur l’usine de retraitement des déchets nucléaires de La Hague n’étaient pas suffisants. Il a fallu Tchernobyl et puis Fukushima. Et dans le domaine de la médecine, les antibiotiques ne fonctionnent plus, dans certains cas, on ne sait plus à quel saint se vouer, et les cancers se multiplient. Et dans le domaine des transports: la voiture, symbole de liberté et de vitesse qui, en ville, n’avance plus!
La science (LA science! comme s’il n’y en avait qu’une!), religion de la société moderne depuis 150 ans (voir Renan: L’avenir de la science, 1890) a donc perdu beaucoup de son aura. On en a vu trop les limites. Qu’à cela ne tienne. À chaque fois qu’une religion meurt, il en naît une autre.
Maintenant, c’est la finance qui ouvertement a repris les rênes. Elle est spirituellement moins exaltante, mais elle donne toutes les réponses. Et cette finance qui règne, elle doit bien nous donner un axe, une direction. Son maître mot, c’est la «croissance». Pour aller vers quoi, elle ne nous le dit pas vraiment. La croissance est simplement la réponse aux problèmes.
Il est à ce propos intéressant de voir que la vision du futur, c’est donc aujourd’hui les banquiers qui la donnent. Un exemple en est donné par l’article paru dans Le Matin du 1er juin dernier sur ce que sera la ville en 2050. Cette vision, c’est un banquier, Julius Baer, qui l’apporte. La banque Julius Baer est «partenaire de l’e-Prix, la course de Formule E qui a vu les meilleurs pilotes de bolides électriques s’affronter le 10 juin à Zurich». Décidément, pas moyen d’en sortir: toujours plus vite, toujours gagner, même lorsqu’il s’agit de ralentir!
Ces visions d’une ville du futur idéale se multiplient. On va planter son jardin sur son balcon, les voitures vont circuler sans chauffeur et les bus circuleront dans les airs. Tout sera intelligent. Julius Baer le dit: la ville sera intelligente, les voitures seront intelligentes.
L’intelligence! L’intelligence artificielle, voilà le nouveau concept. Plus besoin d’être intelligent, les machines vont l’être pour nous. Avec tout ça, vers quoi allons-nous? Et comment y allons-nous? Toute la question est là. Développement ou décroissance?
Continuer notre fuite en avant? Ou freiner la machine inexorable sur laquelle nous sommes embarqués?
Bernard Walter