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Comprendre le monde ne peut se faire que sur l’échelle la plus vaste, l’échelle planétaire. Cela est vrai sans doute depuis que des marins espagnols et portugais sont partis dès la fin du 15e siècle à travers les mers à la conquête du globe, même si telle n’était pas leur idée au départ de leur périple. Ceci a été la première étape du processus de colonisation de la planète par les principaux pays d’Europe.
A partir de là, on peut dire qu’il y a interdépendance de toutes les parties du globe, et que cette interdépendance n’a fait que s’accroître jusqu’à nos jours.
Aujourd’hui, il n’est plus possible de lire l’histoire du monde sans réfléchir aux liens qui existent entre les événements. Qui peut nier la corrélation entre les attentats du 11 septembre 2001 à New York et l’invasion de l’Irak perpétrée par les USA et une série d’Etats coalisés en 2003? Qui peut nier que cela a déclenché une chaîne d’événements dont nul ne peut prédire la fin?
Les médias dominants s’emploient à nous donner une lecture unique et manichéenne de ces événements. Avec les Occidentaux dans le rôle des bons, les Arabes dans le rôle des méchants (la simplification se fait sans peine, l’essentiel des mouvements terroristes étant d’origine arabe et musulmane), et les réfugiés dans le rôle des perturbateurs et profiteurs.
Que les Etats occidentaux, présentés comme les gardiens de l’humanisme et des Droits de l’homme, aient encore à notre époque déclenché des guerres partout où ça les intéressait de le faire, qu’ils aient répandu la terreur dans de nombreux pays, arabes en particulier, on se garde de le rappeler dans nos médias. Puisqu’il faut trouver des coupables, on va désigner Poutine, Bachar El Assad, Khadafi, par exemple.
L’infernale machinerie terroriste ainsi provoquée qui s’est répandue ces vingt dernières années dans nos pays ne peut donc avoir de lien avec les massacres perpétrés par l’Occident en Irak, Afghanistan, Libye, Syrie. Le terrorisme, c’est l’oeuvre d’individus manipulés par l’islamisme radical. Voilà en gros à quoi se résume la version sommaire que nous imposent les médias dominants de nos pays.
Quant à l’image que nos médias à grande diffusion nous donnent du monde, elle n’est qu’un reflet de plus de la propagande réductionniste à laquelle nous sommes soumis.
Voyez les Amériques. À part aux USA où l’on ne peut ignorer qu’il se trouve un président problématique, et à part un peu de corruption de gouvernements de gauche au Brésil, il ne s’y passe rien. Sauf en un seul pays, le Venezuela, dont on parle depuis des mois sans discontinuer. Même chose en Asie. À part des généralités sur la Chine et le Japon, on ne parle que de la Corée du Nord et de l’Iran, seuls pays coupables de se doter de l’arme nucléaire. Que les USA, la Russie et Israël, pour ne citer qu’eux, en disposent en quantités folles n’intéresse personne. Et pendant ce temps, qui nous parle du Yémen? Qui parle des menaces climatiques sur le Bangladesh? Plus près de nous, il y a le spectre Poutine, qui résume à lui seul la Russie, et dont on veut nous faire croire qu’il répand la violence et l’injustice partout où il passe. Quant à toute l’Afrique noire, au-delà de Boko Haram, que sait l’homme de la rue?
Les médias dominants ne donnent pas à comprendre au citoyen à quel point les inégalités sociales s’accroissent jusqu’à l’absurde, à quel point la réalité dépasse tous les délires que la fiction peut inventer, à quel point une partie des populations de par le monde vit dans un état de misère. Bien entendu, ils ne vont pas non plus attirer notre attention sur l’indifférence de la minorité d’individus qui pillent la planète face aux souffrances de leurs semblables.
Pour ne donner qu’un exemple, on nous raconte comme de sensationnels faits divers les «rémunérations» et «ventes» des «sportifs» les plus en vue, lesquelles se chiffrent maintenant en dizaines et centaines de millions de dollars. Mais on évite de nous dire que si l’on multiplie ces chiffres par le nombre des tatoués concernés, on obtient rapidement des milliards et dizaines de milliards de dollars pour des transactions ne concernant que quelques individus. Et puis il y a encore, bien sûr, les gains des people et stars en tous genres, artistes de cinéma, tops models, politiciens et leurs frais de gardiennage – 200 CRS à l’époque pour accompagner Mitterrand dans ses déplacements, combien pour les Trump, Macron et leurs troupes ministérielles aujourd’hui? –, leurs frais de coiffeurs et coiffeuses, maquilleurs et maquilleuses (ce n’est pas si anecdotique que cela, ça illustre le train de vie faramineux d’une petite minorité de gens qui vivent aux dépens d’une majorité de gens toujours davantage paupérisée), et puis il y a les armes et puis bien sûr il y a la finance, ce monde bancaire qui spécule avec du virtuel où l’équivalent du produit vital de pays entiers se jongle jour après jour…
Tous ces chiffres sont vertigineux, ils dépassent l’entendement, mais on continue de nous faire croire que tout ceci est dans la logique des choses, et que tout s’arrangera. Les médias dominants continuent de vouloir nous faire croire que les résistants au système capitaliste qui tyrannise le monde sont des comploteurs qui en veulent à notre bien-être et à notre monde civilisé. Tout ce qui ne procède pas de la pensée dominante est stigmatisé. Malheur à celui qui ne s’aligne pas.
Nos médias ne s’étendent pas sur le fait que le corollaire de ces monstrueux abus, c’est des pays détruits, des famines de par le monde et des réfugiés qui se noient par milliers chaque année. Ils ne nous en font quelques descriptions que lorsqu’il y a des coupables à accabler, toujours les autres, jamais nous bien sûr. La mégabombe, «mère de toutes les bombes» (une image maternelle qui en dit long sur la mentalité du siècle, en fait un dernier test américain avant la bombe nucléaire!), larguée sur l’Afghanistan avec «au moins 90 djihadistes tués» est passée comme chat sur braise. L’affaire a été traitée comme un non événement, qui s’en souvient encore? (Alors qu’un attentat en France, en Angleterre ou en Espagne remplit les journaux pendant des semaines!). Notons en passant que les victimes civiles comptabilisées par les médias sont rares en Afghanistan, elles n’apparaissent vraiment que lorsqu’un mariage ou un hôpital est écrasé par les bombes «par erreur», sinon les morts entrent assez systématiquement dans la catégorie «djihadistes».
Je pense que tout cela traduit une situation assez simple: nous sommes dans une situation de guerre mondiale des riches contre les pauvres. Dans cette guerre, le maître absolu du jeu, c’est l’argent. Lequel se trouve aux mains des financiers, industriels et banquiers. Le dévoué serviteur du pouvoir financier, c’est le pouvoir politique.
Ses esclaves premiers sont l’armée et les médias, rouages essentiels et complémentaires du mécanisme. Les médias ont pour fonction d’une part de faire passer tous les mensonges de ce système de dictature de la finance pour des vérités, de taire les liens entre les événements, liens qui pourraient faire comprendre comment fonctionnent réellement les systèmes dominants, et d’autre part de faire de l’information spectacle, de l’information divertissement, de l’information consommation, pour endormir la population. Il y a certes une petite part des programmes audiovisuels et journalistiques qui fournissent une information différente, sérieuse et de nature à faire réfléchir. Mais cette part est tellement faible quantitativement qu’elle ne met en aucun cas en danger l’hégémonie des médias dominants, laquelle est devenue, pour paraphraser le génial article d’Ignacio Ramonet de janvier 1995, une non pensée unique.
La supériorité du système dominant est tellement écrasante qu’il peut aisément faire apparaître les médias qu’il possède intégralement comme des outils soft. Paradoxalement, ce sont alors les résistances au système qui sont présentées comme excessives ou caricaturales.
Mais ne nous y trompons pas. Le capitalisme, tout hégémonique qu’il soit encore, est un colosse aux pieds d’argile. Nous en sommes arrivés, cette décennie même, à un tournant de l’Histoire. Nous sommes arrivés à un stade de saturation qui rend impossible la poursuite de cette fuite en avant du système qui nous gouverne: saturation climatique, fonte des glaciers, pollution des sols et des mers, anarchie financière, circulation bloquée dans les villes, crise énergétique, problème de l’eau et des ressources de la planète, disparition des espèces…
Et même les médias sont dépassés, eux qui sont pourtant si organiquement liés aux pouvoirs dominants. Ils ne peuvent plus taire ce désordre général. Et ils ne peuvent plus faire taire les consciences qui de partout disent que tout ceci est faux. De plus en plus de gens rejoignent Friedrich Dürrenmatt, qui concluait l’une de ses toutes dernières interviews par ces mots: «Wir leben falsch, wir leben falsch». Que l’on peut traduire en français par: «Comme nous vivons, c’est faux.» Les générations nouvelles sont de plus en plus porteuses de cette conscience qu’il faut faire autrement. Sur elles repose l’espoir du changement. Comme il repose sur tous ceux, citoyens et médias courageux, qui résistent à la dictature de l’argent et au discours des médias dominants.