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Le terme de «décroissance» prête à confusion et il est suffisamment ambigu pour que les accros de la croissance productiviste à tout va puissent en galvauder le sens. C'est pourquoi mieux vaut l'expliquer par l'allégorie que voici1.
«Un riche touriste nord-américain débarquant au Mexique pour ses vacances balnéaires aborde un pêcheur somnolent et lui demande: «Pourquoi ne consacrez-vous pas plus de temps à la pêche?» Le pêcheur lui répond que ses deux heures de travail journalier lui suffisent largement à contenter sa famille. Surpris, le touriste l'interroge sur ce qu’il fait du temps qui lui reste: «Je me lève tard, je pêche un peu, je joue avec mes enfants, nous faisons la sieste ma femme et moi et le soir nous le passons entre amis. Nous buvons du bon vin et jouons de la guitare. J’ai une vie bien remplie!» Décontenancé, le nord-américain l'interrompt: «Suivez mon conseil: consacrez plus de temps à la pêche. Avec les bénéfices vous pourrez acheter un bateau plus grand et ouvrir votre propre pêcherie. Vous irez vivre dans la capitale, puis à New-York d’où vous dirigerez vos affaires». «Et après?» lui demande le Mexicain. «Après, votre entreprise entrera en bourse et vous gagnerez beaucoup d’argent». «Et après?» insiste le pêcheur. «Après vous pourrez prendre votre retraite dans un petit village au bord de la mer, jouer avec vos enfants, faire la sieste avec votre femme et passer vos soirées entre amis en buvant du vin et jouant de la guitare…»
Cette allégorie montre à quelles aberrations conduit un choix de vie fondé sur la cupidité de ceux qui jadis vivaient comme des princes, puis, mordant à l’appât du gain, tombent sous le joug du productivisme. C’est ce bas instinct de l'enrichissement égocentrique qui a plongé l'humanité et la nature dans la catastrophe planétaire qui nous menace tous faute de l'avoir enrayée à temps, par la décroissance, précisément.
Entre un pêcheur sensé et un pêcheur cupide, nulle différence apparente en fin de vie. Certes ce dernier aura dû quitter son village et son pays, négliger sa femme est ses enfants, quitter ses amis et bouder sa guitare, mais la perte de ces acquis n’affectera que sa propre existence. Cependant, si tous les pêcheurs des mers du monde cédaient au culte du dieu argent, les séquelles pour l’ensemble de l’espèce humaine et de ses ressources vitales en seront dévastatrices. En reprenant notre allégorie, voici quelques-unes des conséquences économiques, écologiques, sociales et culturelles qui en découlent:
Ressources – D’une pêche limitée aux seuls besoins d'une communauté, l’entrepreneur pêchera massivement pour accroître ses profits. Il en résultera le dépeuplement progressif des eaux et la disparition de la diversité halieutique que nous subissons actuellement.
Gaspillages – Une grande variété de poissons et de fruits de mer sera alors exposée dans les étalages pour allécher la clientèle. Cette offre excédera largement la demande, entraînant la destruction des invendus dont les taux atteignent, comme pour toutes autres denrées alimentaires, des proportions effarantes. Par contre, le pêcheur probe n'aura pour tout déchet qu'arêtes et coquilles vides! Il consommera lui même ses invendus et offrira le reste à ses voisins.
Pollutions – Alors que ce pêcheur n’a qu'à faire quelques pas de son filet à sa cuisine, le pêcheur-entrepreneur, pour acheminer sa razzia vers les consommateurs, devra l'emballer, la congeler, la dégeler et la transporter sur de longues distances, par cargos, avions et camions frigorifiques, gaspilleurs d'électricité et de pétrole, énergies coûteuses, polluantes et responsables du dérèglement climatique en cours.
Privations – Les échanges de ces marchandises étant faussés par la valorisation purement monétaire qu'impose le capitalisme forcent les hommes à se concurrencer pour gagner de quoi vivre. Faute d'argent, la misère affecte la majorité d'un monde pourtant riche à millions. Le rétablissement d'échanges solidaires de proximité rétablira la valeur réelle des biens et par là, la fortune de pouvoir les partager entre tous.
Aliénations – Plus le pêcheur-entrepreneur veut gagner de l'argent et plus il se prive du temps nécessaire à s'interroger sur l'impasse dans laquelle il a conduit l'humanité et sur l'avenir de ses semblables. La décroissance se veut donc non seulement un frein à la production à outrance, mais le moyen de libérer la pensée collective de sa soumission au travail aliénant pour qu'elle puisse résoudre les épineux problèmes qui lui sont posés dans le calme d’une oisiveté réflexive.
Si l'urgence d'un retour à la sobriété et à la simplicité volontaire est évidente, la décroissance angoisse encore les esprits chagrins qui craignent de devoir renoncer à leur piètre confort factice. C’est que, désemparés, ils n'entrevoient dans la décroissance que privations et non pas une abondance partagée. La décroissance n’entraînera aucune pénurie, bien au contraire: en se réappropriant tous des ressources de la terre, les famines qui déciment actuellement les peuples seront éradiquées y compris si quelques milliards d’hommes de plus rejoignaient l’humanité. Les inégalités dues à l'accaparement des richesses par quelques-uns au détriment de la majorité seront abolies grâce à la gestion commune et solidaire des ressources.
Car, sur notre Terre, la table est mise et les convives n'attendent que d’être servis. Qu’aucun d’entre eux ne tente dorénavant de tirer la couverture à soi, de cracher dans la soupe et de craindre qu'on lui enlève le pain de la bouche!
1. Carlos Taibo, «El decrecimiento explicado con sensillez», Catarata, Madrid, 2011.