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26 avril 1986 à Tchernobyl et 11 mars 2011 à Fukushima: il faut se souvenir de ces deux dates et de ces deux lieux, qui témoignent que l’homme est un apprenti sorcier et qu’il n’a encore pas compris les dangers de l’énergie nucléaire. Le 27 novembre prochain, les électrices et électeurs suisses diront s’ils acceptent ou non l’initiative populaire demandant la sortie programmée de l’énergie nucléaire. Le 29 avril 1989, soit juste trois ans après la catastrophe, notre ami Pierre Lehmann est allé sur place. Voici quelques extraits de son témoignage, écrit sur le vif.
L’accident a eu lieu à 1h24. A 8h, on a décidé l’évacuation de Pripiat, ville d’environ 50.000 habitants, située à quelques kilomètres seulement de la centrale et dans laquelle habitait le personnel de cette centrale. Le 27 au petit matin, 1200 bus sont à pied d’œuvre et, deux heures après, Pripiat devient une ville fantôme.
Pour éteindre le réacteur, il a fallu lutter jour et nuit jusqu’au 7 mai. Ensuite, on a continué à le recouvrir de béton, de manière à enfermer les substances radioactives de manière étanche et réduire la radioactivité ambiante dans les environs à un niveau suffisamment bas pour qu’on puisse y travailler sans courir de danger immédiat. Ce mausolée d’un nouveau genre s’appelle un sarcophage. Sa construction a été achevée en octobre 1986. Pour mener à bien les travaux nécessaires jusqu’à cette date, il a fallu faire appel à plus de 200.000 personnes.
Le nombre de personnes définitivement évacuées de leurs habitations est aujourd’hui de 116.000. On en avait évacué davantage, mais certaines sont revenues. Si Pripiat a été évacué sans difficulté, les petits villages ont posé des problèmes parce que les villageois s’accrochaient à leurs habitations. Ils ne comprenaient pas pourquoi ils devaient partir. La radioactivité ne se voit et ne se sent pas.
On a enlevé la terre là où la radioactivité était trop forte. Il a fallu déplacer plus d’un million de m3 de terre. Le sarcophage doit être renforcé et amélioré. On y a même fait une chambre forte à partir de laquelle on veut étudier l’évolution de la radioactivité dans ce qui reste de la centrale au cœur du sarcophage.
Une zone de 30 kilomètres de rayon autour de la centrale est condamnée pour l’habitat, mais on projette d’y créer un centre de recherche pour étudier scientifiquement le conséquences de l’accident sur la faune et la flore des environs.
On nous assure que le travailleurs occupés aujourd’hui dans la centrale et ses environs ne sont pas exposés à ces doses de radioactivité excessives. Le chiffres qu’on nous donne indiquent que ces travailleurs reçoivent des doses moyennes de l’ordre de dix fois la dose de la radioactivité naturelle.
(…) Nous décidons d’aller à une manifestation de commémoration pour marquer le troisième anniversaire de l’accident de Tchernobyl. Le stade, qui dispose de 40.000 places assises, est complètement rempli. Des gens se bousculent sur la voie d’accès. D’autres sont perchés sur les murs qui entourent le stade. Il y a des banderoles demandant l’arrêt complet du nucléaire, Des discours dénoncent pêle-mêle le nucléaire, l’incurie de la bureaucratie, le silence officiel quant aux conséquences de l’accident sur la santé de la population, l’impossibilité des gens de s’informer sur leur dossier médical. Ils sont chaleureusement applaudis.
Dans les jours qui suivent, nous aurons l’occasion de rencontrer des représentants du mouvement vert d’Ukraine et, en particulier leur figure de proue Jurij Stscherback, médecin et écrivain, un des hommes les plus populaires de Kiev. Une personne faisant partie de notre groupe visite l’hôpital de Kiev où se trouve le centre médical mis sur pied pour suivre les irradiés. Cela nous permet d’entrevoir d’autres aspect de la catastrophe.
On essaie de suivre la santé de 640.000 personnes impliquée dans les suites de l’accident. Parmi celles-ci plus de 200.000 enfants. Selon une information obtenue, sur 1000 femmes des environs, enceintes au moment de l’accident, seulement 65 auraient accouché et, sur les 65 enfants nés, seulement 37 auraient survécu.
La pression populaire contre le nucléaire est devenue énorme et incontournable en l’Ukraine. Si la Glasnost se maintient et s’amplifie, on peut espérer que le nucléaire disparaisse du pays dans un avenir assez proche. Mais les nucléocrates n’ont pas baissé les bras. Dans notre groupe, il y en avait en tout cas deux qui pensent qu’on peut éviter les accidents en faisant simplement un peu plus attention en ne voient aucun problème à produire toujours plus de déchets radioactifs. Et, bien sûr, ce sont des adeptes inconditionnels du mythe de la prospérité par l’extension économique. Peut-être imaginent-ils qu’une société dans laquelle tout se passe toujours conformément aux calculs et aux prévisions est réalisable. Mai sera-t-elle encore humaine?
Alors que la Suisse a une densité de population beaucoup plus forte que l’Ukraine, on n’ose pas imaginer les conséquences d’un accident majeur à Mühleberg, à Gösgen, à Leibstadt ou à Beznau. La moitié de la Suisse serait contaminée et de grandes villes comme Zurich, Berne, Bâle et Lucerne disparaîtraient pratiquement de la carte. Il faut être inconscient (ou inféodé aux grands groupes électriques) pour oser prendre ce risque.
On m’avait dit que l’énergie nucléaire était bon marché, sûre et pacifique. Mais mon expérience en tant que ministre m’a conduit à devenir opposé à l’énergie nucléaire. J’ai appris par expérience qu’elle n’est ni bon marché, ni sûre, ni pacifique. J’ai découvert après avoir quitté ma fonction que du plutonium produit en Grande-Bretagne avait été envoyé aux Américains pour leur programme de développement d’armes atomiques. L’énergie nucléaire est un gros problème environnemental et Fukushima est un avertissement adressé au monde.
Tony Benn, ancien ministre britannique