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Il y a 25 ans, fatiguées d’attendre la mise en oeuvre de l’article constitutionnel sur l’égalité voté le 14 juin 1981, des centaines de milliers de femmes ont fait grève, unies derrière le slogan: «Les femmes bras croisés, le pays perd pied!». Elles ont arrêté le travail, pas seulement dans les entreprises, mais aussi à la maison: fini les repas, le repassage, les devoirs avec les enfants. Pendant une journée, les femmes ont rendu visible tout leur travail, rémunéré ou non. Ce jour, les femmes ont certes revendiqué l’égalité des salaires, mais elles ont surtout exigé la reconnaissance et la valorisation de l’immense travail qu’elles accomplissent au quotidien sans qu’il soit reconnu.
Qu’en est-il un quart de siècle plus tard? Le bilan est en demi-teinte. Certes bien des choses ont changé. Pourtant force est de constater que l’égalité dans le monde du travail est loin d’être réalisée. Et faire valoir ses droits est tout sauf simple: déposer plainte pour inégalité de salaire reste une expérience pénible, longue, et souvent douloureuse, au point que, malgré la protection contre le licenciement, il est rare que la plaignante soit encore en emploi à la fin du processus. Les pressions de l’employeur sont telles que la salariée est le plus souvent contrainte de quitter l’entreprise si elle veut préserver sa santé psychique. C’est pourquoi, la responsabilité de faire respecter la LEg ne peut reposer sur les seules épaules des salariées.
Pour réaliser l’égalité, il est nécessaire qu’une autorité publique fasse appliquer la loi et que des sanctions soient prévues pour les employeurs qui refusent de le faire. Or si, après de longues tergiversations, le Conseil fédéral a fini par reconnaître qu’une révision de la LEg était nécessaire, il a accouché d’un projet bien trop timide. Malgré cela, le patronat est monté aux barricades refusant ce qu’il considère comme une «ingérence étatique»1. Après avoir instrumentalisé l’égalité pour imposer l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes, il ne se gêne pas d’affirmer la bouche en coeur que «les métiers typiquement féminins sont moins exigeants en termes de capital humain. Ils sont en conséquence moins bien payés»2. Des propos qui justifient les inégalités et qui tirent un trait sur plusieurs décennies de combats féministes qui ont permis de déconstruire les inégalités, de les rendre visibles et de les délégitimer. De plus en plus souvent, on en vient à considérer que tout ce qui explique une inégalité ne relève pas de la discrimination et ne pose dès lors pas de problème. Selon cette logique des facteurs comme l’âge, l’ancienneté, le niveau de formation, l’état civil, le statut de séjour, la position professionnelle, le niveau de compétence, les groupes de professions, la taille de l’entreprises, la branche, la région, le taux d’activité, le type de salaire, l’existence ou non d’accords salariaux ne seraient pas discriminatoires et justifieraient donc un traitement salarial différent entre les femmes et les hommes.
Autant dire adieu à toute politique de l’égalité! Car, la très grande majorité des hommes et des femmes ne font pas les mêmes métiers, ne travaillent pas dans les mêmes branches, n’ont pas les mêmes taux d’activité, n’évoluent pas de la même manière durant leur vie professionnelle. Bref les parcours de vie des femmes et des hommes ne sont pas les mêmes, les femmes restant prioritairement assignées à la sphère domestique. Ainsi, en Suisse, seulement 40% des femmes travaillent à plein temps contre la majorité des hommes (84%); ce taux tombe à 13% pour les mères d’enfants de moins de six ans alors qu’il est de 86% pour les pères. Ce fait indique très clairement que, malgré un discours édifiant, la politique actuelle en matière d’accueil pré et parascolaire est nettement insuffisante et que la notion de «plein temps» ne vaut que pour la moitié masculine de la population, la majorité des femmes et la quasitotalité des mères de jeunes enfants étant reléguées à une définition d’activité professionnelle «atypique».
Pour faire avancer l’égalité dans les faits, il est impératif de développer un véritable service public de l’accueil des enfants, garantissant l’accès à tous les parents, sur tout le territoire, ainsi qu’un accueil de qualité. Sans oublier de garantir de bonnes conditions de travail et de salaire à un personnel à 98% féminin… car même déléguée à l’extérieur du foyer, la prise en charge des enfants en bas âge reste une affaire de femmes. Parallèlement, une réforme progressiste du droit du travail suisse serait urgente pour redéfinir à la baisse la notion de «plein temps» et pour élargir les congés payés pour les parents.
Ces mesures pour les familles – quelles que soient d’ailleurs leur forme et composition – doivent être complétées par la reconnaissance du travail des proches aidants. Tenant compte de l’évolution de la société, il est nécessaire de garantir des congés payés et d’autres aménagements pour les personnes qui prennent soins d’un proche, ainsi que d’élargir le panel de structures d’accueil et d’accompagnement pour les personnes adultes et/ou âgées dépendantes. Pour cela, outre la volonté politique, il est nécessaire d’investir des moyens financiers importants. Or c’est le contraire qui a le vent en poupe: politiques d’austérité, cadeaux fiscaux aux riches et aux entreprises, remise en cause des acquis sociaux, concentration des salaires et des richesses en haut de la pyramide sociale. Dans ces conditions, reconstruire une mobilisation des femmes est nécessaire afin de redonner souffle à nos revendications et dépasser une égalité de vitrine, qui se plaît à montrer quelques femmes ayant réussi, alors que la majorité continue à vivre les inégalités au quotidien. Sans quoi l’égalité dans les faits restera un mirage.
Michela Bovolenta
secrétaire SSP
1. Centre patronal vaudois, novembre 2015.
2. Avenir suisse, novembre 2015.