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Le mot français «peur» nous vient du latin pavor, du verbe paveo, pavere, qui signifie d’abord: être troublé, être saisi par un sentiment violent, par exemple l’admiration, la surprise, et évidemment aussi l’effroi, la panique. Pavor (aujourd'hui encore en espagnol «la peur» au sens fort, «l'effroi, la terreur») dit donc la peur comme le saisissement par un sentiment d’inquiétude, d’anxiété, et ce saisissement est tellement fort qu’un Romain du nom de Tullus Hostilius en a fait une divinité, Pavor, à laquelle il a consacré un temple! De cette racine latine, le français moderne n’a conservé que l’adjectif «impavide»: celle ou celui qui n’éprouve aucune peur.
La peur est une réaction normale: elle nous avertit de dangers, de menaces, et donc nous en protège, en nous permettant de les fuir ou de les combattre. Mais comme le dit la racine latine, la peur peut aussi nous saisir, s’emparer de nous, telle une puissance incontrôlable. Une déesse Peur, qui nous paralyse, nous glace même. La peur devient alors elle-même un danger, une menace, parce qu’elle nous fait perdre le sang-froid, nous jette dans une panique aveugle. La sagesse populaire connaît ce danger, en disant que la peur est mauvaise conseillère.
Alors, si on me demande quelle est ma peur, je réponds: j’ai peur de la peur. La peur au carré, en somme, ou la peur au second degré. La peur que la peur nous tienne tant sous son emprise que nous ne puissions plus nous ouvrir, accueillir, recevoir. La peur que la peur de l’insécurité nous fasse nous barricader toujours plus. La peur que la peur de ces autres qui nous arrivent nous conduise à dresser des murs, à construire des barrières de barbelés à toutes les frontières. La peur de la peur de ce qui nous est étranger, que le mot «xénophobie» – d’origine grecque, lui! – dit très directement, puisqu’en grec xenos veut dire «étranger» et phobos «peur».
La peur au carré pourrait comporter le danger de redoubler l’effet de la peur. Mais j’espère qu’elle comporte surtout la chance, par décalage, de prendre conscience de cette peur, et donc d’en prendre distance et de s’en libérer, de se dégager de son emprise. Puisse-t-elle, cette peur au carré, nous rendre un peu plus impavides!
Pierre Bühler, professeur de théologie, Neuchâtel