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Apparue il y a une quinzaine d’années à peine dans le paysage politique, la décroissance constitue la convergence ou le dénominateur commun de plusieurs courants de pensée. Elle se démarque clairement de l’écologie d’accompagnement du capitalisme, adepte du développement durable et doctrine de la plupart des partis «verts» électoralistes en Europe. Elle puise son inspiration autant dans l’écologie politique que dans le socialisme utopique, l’anarchisme émancipateur, les luttes anti-globalisation ou les mouvements anti-productivistes et critiques de la technoscience. La décroissance est une plateforme pour construire et imaginer des alternatives au système dominant.
Parmi nos contemporains, la décroissance apparaît, de manière consciente ou non, comme inéluctable. C’est d’ailleurs souvent une source d’angoisse et d’inquiétude et ils préfèrent ne pas trop y prêter attention. Les esprits éclairés considèrent qu’une croissance infinie dans un monde fini est une aberration, un mythe, une illusion qu’il s’agit de dissiper, et le plus tôt sera le mieux. Nous sommes de plus en plus nombreux à penser que le système productiviste et consumériste est voué à disparaître, de gré ou de force: la décroissance propose une voie pour sortir volontairement et sans dogmatisme de cette impasse destructrice de vie et de sens.
Comment s’y prendre pour que tombe le masque? En Europe, la croyance en la science et la technologie comme moyen essentiel pour apporter le progrès est très profondément ancrée dans notre imaginaire collectif et culturel. La société occidentale vibre à l’évocation des prouesses technologiques, de l’expansion économique, des conquêtes à tout va. Si les idées des Lumières ont déplacé la Terre du milieu de l’univers, elles ont surtout mis l’Homme au centre de la Nature, avec pour mission de la contrôler et de la dominer. C’est d’abord cet anthropocentrisme qu’il s’agit de déconstruire pour glisser vers un biocentrisme qui considère que les humains ne sont pas extérieurs à la nature, mais qu’ils en font intégralement partie. La tâche est donc colossale.
En Europe, la voie politique institutionnelle en faveur de la décroissance paraît très difficilement praticable, tant les débats et les enjeux sont verrouillés par l’horizon indépassable de l’économie portée par l’innovation technologique. En Amérique latine par contre, plusieurs expériences ont été menées ou sont en cours, avec des résultats certes souvent décevants. C’est notamment le cas en Equateur où une nouvelle constitution prévoit des droits fondamentaux pour la Nature et où le buen vivir, notion inspirée de la culture indigène, constitue la trame originale. Cela n’empêche pas le gouvernement actuel de vouloir exploiter les gisements pétroliers découverts sous les terres sacrées d’un parc naturel protégé et représentant l’une des plus fabuleuses réserve de biodiversité au monde!
Personne ne conteste que le mode de vie occidental est écologiquement insoutenable. Pourtant, il reste le modèle à suivre pour la plupart des populations de la planète. N’est-ce pas contradictoire? Une approche qui me paraît intéressante pour comprendre ce paradoxe est de considérer la société occidentale comme toxicodépendante aux énergies fossiles. On peut faire l’analogie avec un toxicomane qui sait pertinemment que sa consommation de drogue est néfaste pour sa santé, mais qui va encourager d’autres personnes, souvent influençables, à se «shooter» pour l’accompagner dans son univers glauque de paradis artificiel. Pour que la drogue continue à faire son effet, il faut augmenter la dose. Cette dose, c’est la croissance économique, qui tire sa vigueur de la consommation de pétrole. Elle enivre les puissants et leur cohorte d’obligés au détriment de la nature et des équilibres issus de processus immémoriaux.
Même si les toxicomanes sont conscients que leur consommation est préjudiciable pour leur santé et leurs relations avec leur entourage, cela ne leur suffit souvent pas pour renoncer. Il faut souvent un choc émotionnel pour qu’ils changent de pratique, ou alors une menace dans leur confort ou dans leur mode de vie. Il est difficile de transposer cette problématique à une société tout entière, mais rien n’empêche de s’en inspirer. Aujourd’hui, nous sommes conscients des conséquences dramatiques de notre mode de vie sur la biosphère, mais nous sommes incapables d’envisager des solutions à la hauteur du problème, ou plutôt les seules solutions envisagées sont du même type que celles qui conduisent au désastre, à savoir des solutions à caractère principalement technologique.
Face aux agissements prédateurs et égoïstes qui balaient l’ensemble de notre société, l’attitude la plus appropriée me semble être l’humilité. Selon ses moyens, avec les gens que l’on côtoie, avec son voisinage, on peut essayer d’agir et de diffuser les idées de la décroissance. Recréer des liens et des échanges locaux, construire des alternatives collectives en dehors des logiques marchandes (échanges de savoir, marchés gratuits, chantiers participatifs, événements à prix libre, etc.), créer des réseaux et des relais de la décroissance, organiser des stages de décolonisation de l’imaginaire, valoriser les savoirs et les pratiques vernaculaires, écrire des nouvelles histoires, des nouveaux récits pour raconter la société future et préparer son éclosion.
C’est peut-être du côté des luttes contre les grands projets d’infrastructure et des occupations de terrain pour empêcher concrètement leur réalisation que vient l’espoir d’une issue à la folie contemporaine. Face aux projets de nouvel aéroport, de lignes à grande vitesse, de retenue d’eau pour l’irrigation, de village touristique ou d’extension d’une mine de charbon, de plus en plus de personnes se rassemblent et luttent en affirmant: «Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend».