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«Un si fragile vernis d’humanité», a écrit le philosophe Michel Terestchenko, passionné par la question de la collaboration versus la résistance. Banalité du bien, banalité du mal, pour reprendre les termes d’Hannah Arendt. De cette banalité du mal, oui, j’ai peur. De ce petit rien qui fait basculer un pays aussi éduqué que l’Allemagne dans l’horreur de la Shoah. De ce déséquilibre, entraîné par une grave crise économique qui fait de la démocratie le lit de la dictature parce que le peuple dans sa majorité suit les éructations brutales d’un certain Adolf Hitler. Quand une communauté aussi intégrée que l’était la communauté juive allemande est envoyée massivement dans des camps d’extermination par ses voisins… Quand une petite Anne Frank de 15 ans, est dénoncée et envoyée à la mort par quelqu’un qui l’a peut-être aidée à attacher ses chaussures quand elle était petite…
Je sais que la haine n’est jamais loin, tout comme la bonté d’ailleurs. Cette dualité de l’être humain m’inquiète. Pour avoir été sur des théâtres de conflits sous la bannière du CICR, j’ai vu la haine dans les territoires palestiniens occupés. J’y ai vu aussi de part et d’autre la montée du fanatisme. Mais avant la haine, j’avais vu, en pleine guerre civile salvadorienne, l’ignorance. Je ne comprenais pas comment des êtres apparemment si doux, pouvaient devenir de cruels tortionnaires au gré des circonstances: les horreurs que l’on me racontait ne pouvaient être le fait de ces gens que je côtoyais dans les casernes et les prisons qui me souriaient gentiment… Et quelle ne fut pas ma stupeur quand je me suis retrouvée au pied de la palissade de Deisheh Camp, à Bethléem. De hauts grillages avec des numéros, des miradors aux quatre coins du camp… J’en aurais pleuré: ils n’avaient pas pu faire ça!!! Pas eux! La banalité du mal avait si bien dit Hannah Arendt lors du procès Eichmann… Le mal avait changé de camp… Un si fragile vernis d’humanité, disions-nous…
Et où va-t-elle cette humanité quand les partis d’extrême droite montent partout en Europe, y compris dans des pays économiquement stables tels que le nôtre ou les pays scandinaves? Comment résisterons-nous sous les coups de butoir de ceux qui rêvent d’instaurer des régimes totalitaires au nom de la religion et détestent notre culture (avec de bonnes raisons parfois). Comment mes valeurs de tolérance, d’émancipation et de respect de l’individu, ma passion du débat que j’ai transmise à mes enfants survivra-t-elle? Ma belle confiance est parfois rongée par le doute.
Nicole Baur, cheffe du Bureau de l’égalité et de la famille, Neuchâtel