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CHARLIE HEBDO – Avez-vous lu ce journal une fois dans votre vie? Non? Il a fallu cette folie meurtrière pour qu'on en parle. Ces pages étaient «bêtes et méchantes» du temps de Hara Kiri. Elles étaient intitulées «irresponsables» par les auteurs eux-mêmes de Charlie Hebdo. Que ces dessins et articles qualifiés d'irresponsables par leurs auteurs eux-mêmes deviennent le drapeau de la liberté d'expression confirme que ce monde ne peut guère aller plus mal.
Qui s'intéressait encore à ce journal en faillite? Il ne faisait plus rire beaucoup de monde. Cette abomination du 7 janvier a suscité une mobilisation presque universelle. La peur qu'il fallait exorciser a poussé des millions de personnes dans la rue. Nous devions nous serrer les coudes et affirmer courage et détermination. La liberté d'expression conduit chaque année des dizaines de journalistes, d'hommes et de femmes en prison et même à la mort. Elle justifiait que Charlie Hebdo soit publié à nouveau et qu'il ne se prive pas d'oser le blasphème.
Il y a pourtant un mais. Ceux qui tiennent tant à pouvoir dire tout ce qui leur passe par la tête et rire de tout, ne devraient-ils pas avoir un minimum de respect pour ceux qui pensent autrement? Une foi solide en Dieu ou en Allah les fait se pouffer de rire. Cette foi a pourtant inspiré l'amour du prochain et des actes de solidarité merveilleux. En ce 21e siècle, une part très importante de l'humanité (certainement une majorité) se tient en marge des églises, des temples et des mosquées. Que des rigolos se plaisent à rire des religions qu'ils associent au Moyen Age ou à des exactions commises en leur nom, on peut le comprendre et les laisser s'exprimer. Mais une fois encore, il convient de choisir comment. La liberté d'expression est tellement importante dans une société démocratique qu'elle ne doit subir aucune restriction si ce n'est celle due au respect de ceux qui pensent différemment. C'est pour soutenir cette valeur fondamentale que des millions de personnes, chefs d'États en tête, ont marché dans les grandes villes du monde. Rappelons que toutes les libertés s'accompagnent d'une importante responsabilité.
Ceci dit, prenons un peu de recul. A-t-on évoqué un seul instant ce qui engendre le djihadisme? Voilà plus de 50 ans que Tsahal fait subir au peuple palestinien une vie d'esclavage, d'exactions, d'injustices et d'humiliations quotidiennes. Des maisons sont détruites, des champs d'oliviers saccagés, des villes entières construites contre la volonté cent fois exprimée par toute la communauté internationale et même par les États-Unis.
Notre génération a vibré, à la création de l'État d'Israël. Il permettait enfin, aux juifs du monde, d'avoir une patrie. Nous nous sommes réjouis infiniment de la création des kibboutz et de leur remarquable organisation démocratique, de leur capacité à faire refleurir le désert... Nous n'avons jamais été informés du fait que ce désert était déjà en fleurs avant 1948 ni des souffrances du peuple palestinien qui voyait ses villages démolis un à un parce que Tsahal affirmait la présence d'un terroriste. Notre culture judéo-chrétienne nous a caché la réalité de ce malheur infini vécu par trois générations. Il faut bien préciser que ce ne sont pas les juifs qui sont responsables de cette guerre d'usure sans fin, mais bien les sionistes du gouvernement qui contrôlent, depuis plus de quatre décennies, tout le territoire palestinien contre l'avis de l'ensemble des gouvernements du monde sauf celui des États-Unis. Et ce dernier annule, par son droit de veto, tous les votes de l'assemblée des Nations Unies sur ce sujet.
A-t-on également pris conscience de la responsabilité des États-Unis dans la montée du djihadisme? On sait que la plupart de ces combattants de la première heure ont été formés par des experts de l'armée américaine. Voilà également trente ans que les États-Unis conduisent des guerres dans cette région du monde si riche en pétrole. Ils chassent les dictateurs dès que ces derniers ne collaborent plus avec la CIA. Ils installent des gouvernements qui défendent leurs intérêts et prétendent instaurer la démocratie occidentale. Or, dès que ces peuples se lèvent et instituent des démocraties, la plupart du temps en commençant par nationaliser les puits de pétrole, ils suscitent la chute de ces gouvernements.
Je n'ai pas une âme de comptable, mais certainement que les guerres de ces 30 dernières années ont fait beaucoup plus de morts et de souffrances que les croisades «chrétiennes» de triste mémoire. Après tout cela, comment pouvons-nous éviter que des hommes prennent les armes pour combattre l'Occident et qu'ils viennent le combattre ici? Hélas, les journalistes n'ont presque pas évoqué cette question. Les horribles événements de Paris suivent ceux de New-York, Madrid et Londres. Ils sont de la même veine. Ils font partie de la même guerre. Les terroristes sont dans les deux camps. C'est hélas toujours des milliers d'innocents qui meurent brutalement ou qui meurent à petit feu dans une misère que l'on a de la peine à imaginer.
Ceci étant dit, comment pourrait-on avoir la moindre sympathie pour des groupes qui organisent des crimes aussi odieux que ceux perpétrés dans les capitales occidentales où ils veulent exporter les guerres qu'ils subissent chez eux ou encore pour des fous qui organisent leur nouveau califat avec les règles du Moyen-Âge et avec des pratiques sanguinaires amplifiées grâce aux moyens médiatiques du 21e siècle. Ajoutons que le Hamas n'a pas encore retiré de sa charte l'objectif de détruire Israël ou que l'Arabie Saoudite punit les blogueurs qui ne soutiennent pas le roi de mille coups de fouet, que les femmes n'ont pas le droit de conduire, etc.
Seule la liberté d'expression a été évoquée après l’horrible tuerie de Paris. Mais les causes fondamentales qui ont fait naître Al-Qaïda et Daech ont été occultées. Les intérêts des fabricants d'armes (propriétaires de presque tous les journaux de France) et des grandes sociétés pétrolières ne devaient pas apparaître dans cette sordide affaire.
Réjouissons-nous au moins de l'élan donné au débat sur la reconnaissance mutuelle des diverses religions et cultures, sur la nécessité d'une laïcité ouverte, sur la reconnaissance adressée à tous ceux qui se battent pour que soit respectée la liberté d'expression, sur l'affirmation bienvenue qu'il n'y a pas de Dieu vengeur, alors que tant de textes du Coran et de la Bible peuvent être lus de la manière la plus dangereuse. A tous ceux qui affirment «Je suis Charlie», rappelons enfin la responsabilité de l'Occident dans cette montée du terrorisme.