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En 1972, plusieurs organisations et partis de gauche suisses avaient lancé une initiative pour l'interdiction des exportations d'armes. J'étais alors secrétaire romand de la Déclaration de Berne. Le peuple suisse avait rejeté l'initiative mais il y avait eu 49,7 % de voix favorables.
C'était le bon vieux temps où les partis de gauche et les organisations pacifistes et tiers-mondistes, ainsi qu'une partie des Eglises de Suisse réussissaient à rallier la moitié du corps électoral pour tendre à une interdiction d'un des commerces les plus scandaleux. Depuis lors, plusieurs initiatives ont été relancées sur ce sujet, mais ont toujours été rejetées haut la main. C'est que, depuis les glorieuses années 70, les mouvements protestataires ont perdu beaucoup de leur force, sous l'effet des crises, de l'augmentation du chômage, et de la propagande de la formidable machine de contrôle idéologique lancée par les néolibéraux. En 1972, l'organisation protestante Pain pour le prochain, qui avait pris position en faveur de l'initiative, s'était vu refuser par Bührle Oerlikon sa contribution habituelle fort généreuse, mais cette année-là, les recettes de PPP avaient augmenté en raison de l'appui d'un grand nombre de donateurs indignés par le chantage du fabriquant d'armes. Depuis lors, les organisations d'aide au tiers-monde et de droits humains peinent de plus en plus à faire entendre leur voix dans ce domaine.
Pourquoi ce changement de tendance dans la population suisse? Et cela, alors qu'aujourd'hui, le commerce des armes dans le monde s'est multiplié, alors que les armes sont plus meurtrières que jamais (avec le développement des mines anti-personnel, des bombes à fragmentation, des systèmes de «sécurité», des drones), alors que le nombre de guerres et des violations des droits humains a explosé.
Difficile de répondre à cette question. Mais il faut le reconnaître, le militantisme en a pris un coup. Et les arguments des politiciens de droite et de l'économie ont fait mouche: Si nous n'exportons pas notre production d'armes, d'autres le feront, il y aura récession, et par conséquent chômage. Peut-être était-il plus facile de prendre des positions généreuses à une époque où le plein emploi était assuré, à l'époque aussi de la guerre froide, où, paradoxalement, beaucoup de gens de droite voulaient montrer qu'ils étaient pour une armée suisse forte mais qu'ils n'approuvaient pas qu'on envoie notre armement dans les pays qui se faisaient la guerre entre proaméricains et prosoviétiques. Ils voulaient assurer aussi la crédibilité du CICR, dont les délégués étaient presque tous suisses et devaient parfois venir en aide aux victimes d'armement suisse, comme ce fut le cas au Biafra.
Essayé, pas pu
Certes, depuis 1972 une loi suisse interdit l'exportation de matériel de guerre vers des pays en guerre et qui violent systématiquement les droits humains. Mais cette loi a souvent été détournée, par exemple en vendant à des pays qui réexportaient vers d'autres pays en guerre, et la violation «systématique» des droits de l'homme est une notion à géométrie variable. Et en 2014, l'Ordonnance sur le matériel de guerre (OMG) a été modifiée en effaçant la clause interdisant d'exporter vers des pays qui violent systématiquement les droits de l'homme. Aujourd'hui les plus gros importateurs potentiels d'armes suisses sont l'Arabie saoudite, le Pakistan, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, etc. (www.humanrights.ch et Foraus).
Bien sûr, il faut reconnaître que le rôle de la Suisse dans les exportations d'armes mondiales est minime, la palme revenant aux Etats-Unis, à la Russie, à l'Allemagne, à la Chine, à la France et au Royaume Uni, qui totalisaient en 2013 les 78% des ventes d'armes dans le monde. Comme par hasard, 5 de ces 6 pays sont les membres permanents du Conseil de sécurité. (Rapport 2014 du Stockholm International Peace Research Institute).
Le résultat est clair: jamais il n'y a eu autant de guerres, autant de morts dans les conflits, autant d'armes qui circulent, d'enfants estropiés parce qu'ils jouaient ou travaillaient sur des terrains minés. Jamais les mafias, qui sont parfois mieux armées que les polices, n'ont fait circuler autant d'armes, leur permettant de contrôler le commerce de drogue, de diamants, de femmes et de réfugiés. Voir ce qui se passe dans la Méditerranée ou dans les océans, avec tous ces bateaux surchargés dont certains coulent dans les tempêtes.
Comment réagir ?
Là-contre, toutes les propositions que nous pourrions faire paraissent dérisoires. Pour l'instant on ne voit pas tellement d'autres solutions que de faire adopter des conventions et des traités. La Suisse a là un rôle à jouer aux Nations Unies. Encore faut-il qu'elle soit crédible dans sa propre politique et qu'elle examine plus strictement les clients des exportateurs, en outre qu'elle accepte le droit international, et cela contre un certain parti qui voudrait l'envoyer aux oubliettes (parce qu'il refuse tout ce qui pourrait ressembler à des juges étrangers).
Au niveau international il y a eu quelques succès: les accords START ont diminué notablement les têtes d'armement nucléaires, mais le nombre de ces têtes, aux Etats-Unis, en Russie, en France, au Royaume Uni, en Chine, en Israël, au Pakistan, en Inde et en Corée du Nord, est encore suffisant pour détruire plusieurs fois toute vie sur la planète; la convention d'Ottawa de 1997 interdisant les mines anti-personnel et les bombes à sous-munitions, a été ratifiée par de nombreux pays. D'autres accords ont été ratifiés ou sont en passe de l'être: contre les armements chimiques et bactériologiques, limitant les armes de petit calibre (responsables aujourd'hui du plus grand nombre de morts), etc. L'ONU a encore mis sous embargo plusieurs pays et organisations, notamment Al-Qaïda, les Talibans, la République centrafricaine, l'Erythrée, le Soudan, etc.
Malheureusement, on sait qu'il est extrêmement facile de contourner ces interdictions, et que les mafias sauront toujours où se procurer des armes. Mais au moins c'est un cri d'alarme de la «communauté internationale», que doivent soutenir tous les hommes et femmes de bonne volonté.
François de Vargas
Ancien secrétaire général de l'Association
pour la prévention de la torture